L’année 2022 constitue un tournant sur le front de l’inflation, qui passe d’une fourchette de 0 - 2% depuis une vingtaine d’années, à une fourchette probable de 2 à 6% (hors composantes volatiles de l’indice des prix). La résurgence d’un phénomène récurrent de hausse des prix résulte d’évolutions durables de l’économie mondiale et de certains dysfonctionnements. La commission Evaluation de la SFAF a mené différents travaux ces derniers mois, qui ont donné lieu à plusieurs publications(1). Eric Galiègue, président de la commission, synthétise ici ces différents travaux sur l’impact de l’inflation sur l’évaluation des actions, sous forme de différents points d’attention majeurs, à destination des analystes évaluateurs.
Impacts sur les stocks et, plus généralement, sur les BFR
L’inflation a pour effet de gonfler automatiquement les stocks et le poste clients-fournisseurs. Les entreprises, échaudées par la rupture de certains approvisionnements, multiplient ainsi leurs sources pour éviter toute rupture. Naturellement, les effets observés sont une hausse significative des stocks et le retour de la notion de stock « de sécurité ». Pour une activité identique, dans un environnement inflationniste, les besoins en fonds de roulement augmentent et réduisent les flux d’exploitation. Cela impacte négativement l’évaluation de l’entreprise, soit directement (moins de flux d’exploitation), soit indirectement (recours accru à l’endettement, ce qui dégrade le risque financier de l’entreprise et augmente la prime de risque).
Impacts via les actifs immobilisés
L’inflation réduit le poids relatif de la dotation aux amortissements des immobilisations corporelles, qui sont calculées sur la base du coût historique, alors que les soldes intermédiaires de gestion en amont croissent au rythme de l’inflation. Au terme de quelques années, cet effet gonfle artificiellement le résultat net. L’inflation, par ailleurs, rend plus attractive l’acquisition des immobilisations corporelles, de façon à fixer leur prix, plutôt que leur location : les hausses futures de loyers sont évitées...
Impact de la hausse des taux sur le bénéfice
L'impact dépend naturellement du montant et du type d’endettement et de la nature fixe ou variable des taux qu’il porte. Les entreprises qui sont endettées à court terme et à taux variable seront naturellement plus touchées et leur évaluation baissera en raison de la baisse des flux futurs consacrés au paiement de frais financiers plus élevés. L’impact sera évidemment plus faible pour les entreprises dont l’endettement à taux fixe a été contracté à long terme.
L’augmentation des tensions au sein de l’entreprise et de l’incertitude en général
L’inflation est un fantastique accélérateur des tensions entre l’entreprise et ses parties prenantes. A tous les niveaux, la négociation des prix crée du stress et de l’incertitude : prix des prestations des fournisseurs de matières, des prestataires de services, des produits et services vendus aux clients et, bien sûr, des salaires. Cette incertitude, qui touche aussi les contrats passés (affaires à cycle long, notamment), se traduit pour l’évaluateur par une hausse de la prime de risque, venant ainsi réduire la valeur de l’entreprise. Cette hausse de la prime de risque est naturellement différente selon le type d’entreprise et sa capacité à répercuter sur ses prix de ventes, la hausse des coûts générée par l’inflation.
En résumé, l’inflation réduit l’évaluation des entreprises par la baisse des flux futurs (hausse des BFR et hausse de la charge d’intérêt pour les entreprises les plus endettées) et par l’accroissement du taux d’actualisation (hausse de la prime de risque induite par l’accroissement de l’incertitude). Elle génère aussi des « bénéfices artificiels » via les amortissements des immobilisations (au coût historique alors que les investissements croissent avec l’inflation).
(1) Voir les articles : « Impact de l’inflation sur la comptabilité et les modèles de valorisation » du 31 janvier 2022, « Quel impact sur la communication et l'évaluation des entreprises avec le retour de l'inflation ? » le 9 juin 2022 et « Retour de l’inflation : un sujet stratégique pour les analystes financiers » le 8 septembre 2022.