En septembre 2023, Grégory Schneider-Maunoury, membre de la SFAF et professeur à l’Université Sorbonne Paris Nord, a présenté le cheminement et les résultats de son étude « Consommation indirecte : le scope 3 de l’eau », réalisée avec les étudiants du Master DEFIS.
Dans cette nouvelle ère de la finance durable, marquée par de nombreuses initiatives en matière de recueil des données, il demeure très difficile de mesurer la consommation indirecte d’eau des entreprises. Pourtant, pour 90% de celles étudiées, leur consommation indirecte d’eau est bien plus élevée que celle de leur consommation directe.
Cette étude a ainsi pour objectif de fournir une première estimation de la consommation indirecte d’eau des entreprises européennes cotées, dont l’équilibre et la production reposent sur l’agriculture.
La 1ère partie de l’étude de traite de l’insuffisance d’information sur la consommation d’eau dans la réglementation financière durable. La 2ème partie présente la méthodologie utilisée et les estimations recueillies à partir des données mises à disposition par les entreprises. Enfin la 3ème partie expose les résultats obtenus et propose des recommandations afin de poursuivre ce travail d’analyse.
L’ensemble des outils nécessaires à l’analyse ESG et à l’analyse financière n’intègrent pas encore parfaitement cette constituante indispensable de la nature : l’eau.
CDP (Carbon Disclosure Project) a été pionnier sur le sujet, en récoltant depuis 2009 les données de nombreuses entreprises par l’intermédiaire du « CDP Water », un questionnaire auquel 3900 entreprises ont répondu en 2023. Aujourd’hui, la règlementation nationale (des informations sur la consommation, le prélèvement et les rejets dans l’eau sont requises au sein de la DPEF) et européenne (des informations sur l’intensité et la consommation d’eau sont implicitement demandées dans la directive CSRD, ESRS 3) ont pris le relais. Cependant, elles font preuve de retenue sur la thématique de l’eau. En effet, bien que la Taxonomie européenne(1) s’intéresse à la protection de cette ressource naturelle, aucun objectif international commun sur la protection de l’eau n’a été défini (à l’inverse des problématiques de réchauffement climatique ou de la protection de la biodiversité traitées par les institutions depuis de nombreuses années).
Ces textes ne traitent pas de l’estimation de la consommation indirecte d’eau car seule la quantité ou la qualité de l’eau sont évoquées (« l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines »(2)). Il existe ainsi une lacune sur la matérialité d’impact de l’eau, qui se limite à la consommation directe.
Toutefois, la mesure de la consommation indirecte d’eau n’est pas impossible. Une méthode a été développée (Chapagain & Hoekstra, 2004) afin de calculer la consommation indirecte d’eau pour chaque produit végétal ou issu de l’agriculture. Cette méthode permet d’attribuer un coefficient agricole à chaque produit végétal ou issu de l’agriculture. Il représente la quantité d’eau par produit, généralement exprimée en litre/kilo (addition de tous les besoins respectifs en eau nécessaires à la fabrication d’un produit).
Les résultats de l’étude menée par Gregory Schneider-Maunoury et ses étudiants montrent que, sur le total de l’eau consommé par une entreprise, la consommation directe d’eau représente seulement 0,001% à 1% de ce total. Un résultat qui peut être mis en parallèle avec le pourcentage des émissions indirectes de gaz à effet de serre (scope 3), qui s’avère être bien plus élevé que celui des émissions directes (scope 1).
Sur les 27 entreprises analysées, 5 d’entre elles ne fournissent pas suffisamment d’informations afin de pouvoir établir une estimation de leur consommation indirecte d’eau et 10 autres partagent des informations parcellaires nuisant à la qualité de l’estimation ou de la stratégie. Seules 2 entreprises, à travers leurs données publiées, permettent au lecteur de comprendre les mesures mises en œuvre afin de réduire la consommation indirecte d’eau (choix des matières premières et de leurs lieux de production).
Pour aller plus loin, les auteurs formulent 3 remarques :
- Il est nécessaire de pousser les entreprises à publier l’estimation de leur consommation indirecte afin de mieux comprendre la consommation directe d’eau ;
- L’estimation de la consommation indirecte d’eau permet une meilleure analyse de la stratégie de suivi et de réduction de consommation d’eau d’une entreprise ;
- La consommation indirecte d’eau est un exemple de matérialité d’impact : elle ne nuit pas directement à l’entreprise mais elle peut conduire à une mauvaise utilisation de la ressource dans le/les pays où elle est puisée.
La présentation diffusée le 7 septembre est téléchargeable via ce lien dans la base documentaire du site de la SFAF, en accès réservé aux membres.
A lire également: l’article « Indirect Water Consumption: The Scope 3 of Water ? Estimation of this Indicator in Sectors Relying on Agriculture » de Grégory Schneider-Maunoury.
(1) Règlement s’inscrivant dans le cadre du Green Deal européen et établissant une classification des activités durables sur le plan environnemental
(2) Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil (article 9).