Frédéric Genevrier, membre du groupe de travail Gouvernance de la commission Analyse extra-financière de la SFAF, revient sur le rôle de l'administrateur référent au sein d'une société cotée, pratique de Place sans réalité juridique qui doit évoluer si elle veut assumer sa vocation.
L'administrateur référent est un vrai succès. Il y en a là où il faut. Quand la dissociation n'existe pas. Chez Pernod Ricard, LVMH, Air Liquide, Danone, Orange, Kering, Accor, Schneider Electric, Total.
Mais il y en a également dans des schémas plus surprenants. Là où il y a dissociation. Chez Safran, Axa, Legrand ou encore Atos.
Et encore plus surprenant, là où il y a Conseil de surveillance et Directoire. Chez Michelin, Vivendi et il y a encore peu chez PSA.
Parfois, il cohabite, dans le schéma institutionnel, avec un vice-président. Voir Veolia Environnement, Carrefour ou encore Vinci.
Cap Gemini, qui pratiquait jusqu'en 2020 la dissociation Président, Directeur général, avec un administrateur référent et un vice-président, constitue la cerise sur le gâteau !
Les prérogatives de l'administrateur référent, décrites dans le Règlement intérieur du Conseil d'administration, plus rarement dans les statuts de l'entreprise, ont gagné en homogénéité : présidence du Comité des nominations et Rémunérations, évaluation du Conseil d'administration, prévention et gestion des conflits d'intérêts, session avec les administrateurs indépendants.
Mais attention, l'administrateur référent n'a pas de réalité juridique. Il est une pratique de Place, poussée par l'Afep-Medef qui, bien naturellement, a vocation à faire prévaloir les attentes de ses mandants.
Ainsi, l'administrateur référent reste sous liberté surveillée dans sa relation avec les actionnaires. Les « executive sessions » lui reconnaissent un rôle à l'égard des administrateurs indépendants, expression des actionnaires non représentés. Mais il ne peut pas en retour entretenir une communication libre avec ces derniers.
Pourtant, ce serait un complément naturel de son action auprès des administrateurs indépendants et permettrait de ne pas réduire la gouvernance à des pratiques très formelles, compte tenu notamment de la fragilité du statut d'indépendant.
Danone en est un exemple très récent. Peu d'investisseurs ont publiquement exprimé leur réserve sur les résultats obtenus mais ils ont été très nombreux, et depuis longtemps, à être vocables auprès de la Direction générale. Mais cette dernière ne souhaitait pas entendre. N'avait-elle pas par le passé, quand elle pesait fort au Conseil d'administration, organisé le contingentement des droits de vote. Une communication plus active aurait probablement permis de gérer plus tôt les errements rencontrés et de ne pas constater l'explosion de l'équipe dirigeante en septembre 2020 qui a contraint le Conseil à agir.
Ce qui aurait dû constituer un contre-pouvoir a finalement été, à l'usage, dévoyé de sa vocation première pour se muer en un simple contrefeu permettant au PDG de conserver ainsi la plénitude de son pouvoir.
L'ubiquité de l'administrateur référent dans la pratique institutionnelle domestique est bien l'indice d'une justification d'existence à géométrie variable qui privilégie la forme au fond. Ne serait-il pas plus simple de dissocier et/ou de communiquer directement ?
Ce constat permet de rappeler le besoin de remettre l'ouvrage sur le métier. La dissonance entre les codes dits de soft-law sur le statut de l'administrateur indépendant est patente. La France constate la perte d'indépendance après 12 années cumulées de mandat, l'Angleterre après 9. Certains analystes de la Place fixent la barre à 7 ans.
En outre, l'intensité de cette mission plaide pour une très forte disponibilité et une nécessité absolue d'exercer son mandat sur le terrain, gage d'une plus grande autorité au moment où se réunit le Conseil. La question des cumuls des mandats dans des sociétés cotées est donc là encore d'actualité. 5 mandats en France, 4 en Suisse. En Angleterre, c'est le conseil qui donne l'autorisation à l'un de ses administrateurs de siéger dans un autre conseil.
Un débat doit naître autour de ces questions au centre desquelles se niche l'incontournable « professionnalisation » de la mission de l'administrateur indépendant.
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