Les analystes, financiers comme extra-financiers, considèrent que la notion de valeur est plus importante que la notion de prix. Que celle-ci lui est supérieure et qu’il est nécessaire de consacrer plus de temps à évaluer l’entreprise sous-jacente, notamment en intégrant les critères ESG pour améliorer le DCF, plutôt qu’à tenter de comprendre le niveau et l’évolution du prix. Pourtant, les gérants de portefeuille qu’ils conseillent sont jugés sur l’évolution du prix des actions, non sur leur évaluation. D’où leur intérêt pour une meilleure compréhension du prix et de sa dynamique. Analyse d’Eric Galiègue, président de la commission Evaluation de la SFAF, et de Lionel Pellicer, membre de la commission.
Quel lien existe-t-il entre le prix et la valeur ? En vertu de quoi les prix se dirigent-ils vers la valeur, ou inversement ?
Dans le domaine de la valeur, les flux futurs, base de l’évaluation, constituent l’attrait de l’action. C’est leur niveau, absolu comme relatif, qui doit attirer les investisseurs et faire monter le prix de l’action pour qu’il atteigne la valeur. Ce raisonnement d’arbitrage doit normalement assurer que le prix ne s’écarte pas durablement de la valeur.
Dans le domaine des prix, l’utilisation d’algorithmes de plus en plus élaborés permet d’aller plus loin : il est désormais possible de formaliser la dynamique des prix.
Le lien entre prix et valeur
La formalisation que nous proposons de réaliser est inspirée de la science physique. En l’absence de tendance établie, le mouvement est dit « brownien », c’est-à-dire essentiellement aléatoire et soumis à aucune autre interaction que des mouvements mineurs et parfois opposés dans des périodes réduites. Si ce mouvement « brownien » est appliqué aux actions, le titre n’est pas directionnel et suit des oscillations dans un sens ou dans l’autre en fonction de nouvelles peu spécifiques. Cela revient aussi à la 1ère loi de Newton et son principe d’inertie, à savoir que le mouvement se perpétue à vitesse constante en l’absence de force extérieure. Cette phase de marché est peu profitable pour un investisseur.
Une tendance répond à la 2ème loi de Newton, le principal fondamental de la dynamique, c’est-à-dire qu’une force va fournir une accélération initiale permettant au mouvement de se diriger dans une direction donnée en l’absence de force opposée. Pour les actions, cela signifie qu’un titre peut bénéficier d’un mouvement significatif dans un direction donnée – à la hausse ou à la baisse – à partir d’une information spécifique (résultats, gouvernance) ou d’une tendance macroéconomique (taux d’intérêts, inflation, croissance). Contrairement au principe d’inertie, dans une tendance, la vitesse peut varier sans que cela ne change la direction. C’est ce qui explique, par exemple, les consolidations de court terme dans une tendance haussière longue. Les forces opposées agissent sur l’accélération des cours, mais pas suffisamment pour changer la direction de la tendance.
Le danger d’une divergence durable entre prix et valeur
L’écart significatif entre le prix et la valeur d’une action n’est pas nouveau. Cependant, depuis quelques années, ces écarts sont de plus en plus durables et importants. Un prix très supérieur à la valeur permet à l’entreprise concernée de lever des fonds à un faible coût. Un prix élevé conduit à une exigence de rentabilité plus faible : l’entreprise placera ses actions nouvelles plus facilement, à un coût du capital plus faible.
En revanche, si la valeur de l’action est sous-évaluée par son prix, l’entreprise devra proposer aux investisseurs une rentabilité plus élevée : elle placera moins d’actions pour le même montant. La faiblesse de son prix, qui conduit à des ratios d’évaluation plus bas, l’oblige à proposer une rentabilité plus élevée aux investisseurs.
Si « le prix fait le prix » et que la dynamique du prix n’a plus aucun lien avec la valeur de l’entreprise, alors des projets d’investissement à faible rentabilité seront financés, alors que des projets à plus forte rentabilité ne le seront pas. Cette situation sous-optimale de rationnement des projets conduit à une mauvaise allocation des ressources qui, in fine, réduit la croissance économique générale.
Ce n’est évidemment pas ce que l’on attend du marché financier…