Le 20 novembre, a eu lieu la 12ème conférence annuelle du Cercle des Analystes Indépendants sur la conjoncture des investissements, axée cette année sur le thème "Perspectives 2025 : géopolitique". Eric Galiègue, président de la commission Evaluation de la SFAF et du Cercle des Analystes Indépendants et organisateur de l’événement, précise les liens d’influence entre finance et géopolitique.
Certains investisseurs et analystes considèrent que la situation géopolitique a peu d’influence sur les marchés financiers. Les dramatiques évènements au Proche Orient depuis plus d’un an semblent démontrer que les situations de crise géopolitique n’ont pas d’impact sur la tendance des marchés. Même l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis février 2022 n’a pas eu d’effet durable sur le cours des actions, si ce n’est via la flambée des prix de l’énergie qu’elle a induite. En 2014, l’annexion de la Crimée par la Russie n’avait pas eu d’effet notable sur le prix des actifs financiers. La Bourse est-elle totalement insensible aux développements géopolitiques ?
Nous ne le pensons pas. Au contraire, nous considérons que la géopolitique influence les marchés financiers de différentes manières.
Les 6 canaux de transmission de la politique et de la géopolitique aux marchés financiers
Une approche macroéconomique identifie 3 canaux de transmission de la géopolitique aux marchés financiers.
Le premier est le marché des matières premières et du pétrole, dont on sait qu’il est en « première ligne » lors des crises géopolitiques. L’impact est très direct : les menaces physiques sur la production font flamber les prix, capables d’affecter significativement la croissance économique des pays consommateurs.
Le second est plus d’actualité : le phénomène de protectionnisme/réindustrialisation, porté par Donald Trump. De manière un peu simpliste, on pourrait imaginer qu’il suffit de prendre dans la poche des étrangers pour régler les problèmes des nationaux. Et qu’il est possible de reconstruire chez nous les usines qui ont été construites ailleurs… pour redonner du travail à nos ouvriers. Cette croyance erronée est au cœur de la géopolitique bilatérale USA-Chine et bientôt USA-Europe : elle est capable de rompre les équilibres actuels et d’impacter significativement les marchés d’actions et d’obligations, ainsi que les taux de change.
Le troisième est le surendettement des états. C’est bien connu, pour la dette privée comme pour la dette souveraine : un peu de dette favorise la croissance, beaucoup de dette la tue. D’ailleurs, les règles de Maastricht ont établi la limite de l’endettement public : 60% du PIB. Au-delà de 80%, la situation devient très compliquée, et à plus de 100% du PIB, la dette réduit la croissance. Cela induit une privation de liberté des états, qui, selon nous, devient un problème géopolitique.
Une autre approche est plus microéconomique. A nouveau, 3 canaux peuvent être identifiés.
Le premier est le plus évident : la géopolitique influence directement le comportement boursier des actions du secteur aéronautique défense. Le probable désengagement américain en Europe induit une reprise en main par l’Europe de sa défense. La hausse des budgets militaires semble inéluctable pour des pays comme l’Allemagne et l’Italie.
Source : SIPRI
Le second est lui aussi évident, même s’il faut davantage parler de politique que de géopolitique : la fixation et l’évolution du taux d’imposition des bénéfices est une décision hautement politique. Par exemple, l’évolution de la pression fiscale sur les entreprises aux USA depuis la fin des années 70 et l’avènement de Ronald Reagan est à ce titre très claire.
Le taux effectif d’imposition est passé de 50% à moins de 20% actuellement : cette évolution explique une proportion significative de la hausse des bénéfices des entreprises américaines sur la période. La prospérité des marchés financiers est donc imputable en partie à une décision politique.
Enfin, nous considérons que l’incroyable développement des « 7 merveilleuses » ou des « Big 8 » (Alphabet-Google, Amazon, Apple, Meta-Facebook, Microsoft, Netflix, Nvidia et Tesla) symbolise la domination des USA sur le reste du monde, notamment sur l’Europe. Toute remise en cause géopolitique du leadership américain s’exprimera par une forte volatilité du cours des sociétés dont la capitalisation totale dépasse aujourd’hui 10 000Mds$. La sensibilité du cours d’Apple à la guerre commerciale entre les USA et la Chine est un exemple très parlant.
Stress géopolitique et marchés financiers
La mesure du stress géopolitique est difficile, souvent subjective. Cependant, il existe une mesure systématique qui a été faite par Caldara et Iacoviello, membres du conseil des gouverneurs de la Banque Centrale des USA, et présentée dans l’American Economic Review en 2022. L’indice GPR (GeoPolitical Risk) reflète les résultats de recherches de texte automatisées dans les archives électroniques de 10 journaux comme le Wall Street Journal, le Daily Telegraph ou le Financial Times. L’indice prend en compte le nombre d'articles liés à des événements géopolitiques défavorables dans chaque journal pour chaque mois (en pourcentage du nombre total d'articles de presse). La recherche est organisée en huit catégories : Menaces de guerre (Catégorie 1), Menaces de paix (Catégorie 2), Renforcement des capacités militaires (Catégorie 3), Menaces nucléaires (Catégorie 4), Menaces terroristes (Catégorie 5), Début de guerre (Catégorie 6), Escalade de guerre (Catégorie 7) et Actes terroristes (Catégorie 8). L’indice GPR est calculé depuis 1919 et repris par la Banque Mondiale.
Source : Banque Mondiale
Cet indice permet de mesurer le lien qui existe entre la géopolitique et le comportement du Dow Jones. Ainsi, dans le graphique ci-dessous, l’indice GPR et la variation annuelle du Dow Jones ont été comparés sur les 45 dernières années :
Source : Banque Mondiale, Phiadvisor Valquant, Factset
Sur cette période de 45 ans, le Dow Jones a subi 8 périodes de baisse annuelle supérieure à 10%. 5 ont correspondu à des périodes de stress géopolitique (forte hausse de la courbe orange représentant l’indice GPR), 3 baisses ont correspondu à des crises financières (Oct 87, 2002, 2007-2008) et une seule à une crise non financière et non géopolitique : la crise sanitaire de 2020. Il apparaît ainsi que les fortes hausses de l’indice GPR (supérieur à 140) ont toujours suscité une baisse significative du cours des actions.
Cela démontre la nécessité de suivre la géopolitique mondiale lorsque l’on investit en actions.