Ancien banquier, analyste bancaire et dirigeant d'une ONG européenne chargée de replacer la finance au service de la société, Christophe Nijdam est membre de la SFAF et du collège de l'Autorité Bancaire Européenne (EBA). Il a co-écrit « Parlons banque en 30 questions » (en coll. avec Jézabel Couppey-Soubeyran, La Documentation Française, 2014) et il publie début octobre « Calculatrix » (Les Liens qui Libèrent, 2017).
Selon une étude réalisée par le BIPE pour le compte de l'Association française des banques (AFB), le secteur bancaire devrait envisager d'importantes réductions d'effectifs dans les 10 prochaines années, en raison notamment de la concurrence des GAFA et du développement des partenariats avec les fintech. Une obsolescence de 25 % des postes a été envisagée. Qu'en pensez-vous ?
Quand j'ai démarré dans la profession bancaire à la fin des années soixante-dix, on comparaît déjà le secteur bancaire français à la prochaine « sidérurgie », puis la libéralisation et la dérégulation sont passées par là, dynamisant fortement les emplois du secteur. On a déjà oublié qu'on ouvrait encore des succursales à droite et à gauche en France il y a moins de cinq ans… Mais aujourd'hui ce secteur fortement oligopolistique fait face à des nouveaux concurrents disruptifs dans un processus schumpétérien. Le chiffre de 25 % de postes obsolètes est cependant du « doigt mouillé », ce que reconnaît l'étude elle-même. Il me semble, à ce stade, destiné à sensibiliser les partenaires sociaux sur la nécessité d'une certaine flexibilité dans les négociations salariales… Les départs à la retraite vont cependant atténuer ce chiffre clivant de 25 % puisqu'ils vont concerner 21 % des effectifs de la profession, certes sur un horizon plus long de 8 ans alors que l'obsolescence nous est prédite sur 5 ans seulement. Mais d'autres fonctions seront en croissance, ce qui devrait faciliter la reconversion de certains collaborateurs : le challenge portera donc sur la formation continue et l'accompagnement managérial de cette transformation.
Notons que le Comité de Bâle s'est saisi du sujet début septembre en ouvrant une consultation de Place sur l'implication de la présence des fintech sur le secteur financier. Dix recommandations sur les potentiels impacts sont ainsi soumises à consultation jusqu'au 31 octobre prochain.
La situation des banques d'investissement est-elle similaire à celle des banques commerciales ?
Non, parce qu'elles ont déjà subi un certain dégraissage à la suite de la crise, dont elles sont à l'origine, et parce qu'elles pèsent moins en produit net bancaire et en nombre de collaborateurs que les banques commerciales. Par exemple, dans le cas de BNP Paribas, la BFI c'est 27 % du PNB total pour seulement 16 % des effectifs, tandis que la banque de détail pèse 73 % du PNB mondial avec 77 % des collaborateurs du groupe. Cela dit, les fintech vont aussi mordiller les mollets de certaines fonctions des BFI, mais de façon moins forte que dans la banque de détail, par exemple dans les domaines de dépositaire/conservateur.
Le dossier Bâle 4 a refait surface courant juin 2017 avec les dernières propositions du comité de Bâle visant à réduire le plancher imposé aux banques. En ce mois de septembre, où en sont les discussions ?
Bâle 4 n'existe pas, c'est une invention habile du lobby bancaire européens ; les banquiers centraux parlent, eux à juste titre, de « calibration de Bâle 3 ». Comme vous le savez, c'est parce que le Comité de Bâle s'était ému des différences énormes d'auto-évaluation des actifs pondérés par les risques au travers des modèles internes de notation (appelés IRBs pour « internal rating-based ») que l'idée de planchers à respecter est venue sur la table, d'autant plus que les banques américaines sont, de facto, soumises à de tels planchers puisqu'elles ne sont pas autorisées à utiliser les modèles IRBs et adoptent donc des modèles dits standards, équivalents pour toutes les banques américaines. De même, les petites banques européennes n'ont pas les moyens d'utiliser des modèles IRBs et souffrent donc d'un désavantage réglementaire vis-à-vis des grandes banques européennes systémiques au travers des modèles standards qui, évidemment, requièrent plus de fonds propres que les modèles IRBs. Pour l'instant, le dossier avance à pas comptés mais la rumeur indique qu'un accord pourrait se faire autour d'un plancher fixé à 75 % des modèles standards, procurant toujours un avantage concurrentiel indu aux grandes banques européennes systémiques. Enfin, n'oublions pas que les accords du Comité de Bâle sont de l'ordre du « soft law » donc non coercitifs au niveau international, à la différence, par exemple, d'une directive européenne qui tombe dans le « hard law » au niveau européen.
Le 26 septembre 2017, l'EBA (Autorité Bancaire Européenne) et l'ESMA (Autorité Européennes des Marchés Financiers) ont sorti des recommandations communes (« guidelines » de niveau 3) qui vont durcir la réglementation en matière de gouvernance bancaire. Dans quelles directions ce durcissement va-t-il s'opérer ?
Dans leur analyse des causes de la crise, les European Supervisory Authorities (ESAs) avaient, entre autres raisons, clairement identifié une défaillance des organes de gouvernance des établissements financiers. Ce durcissement, largement justifié, tourne notamment autour de trois axes dans le cas des conseils d'administration : tout d'abord, les compétences professionnelles individuelles des administrateurs, puis le temps à consacrer effectivement à leurs fonctions et, enfin, la notion d'indépendance de ces administrateurs. Le lobby bancaire n'y est évidemment pas favorable et, par exemple, souhaite qu'on se limite à la compétence « collective » du conseil d'administration.
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