À l'heure où l'Amérique et l'Allemagne paraissent hésiter quant à l'intérêt d'une politique extérieure étendue, les différentes initiatives prises par Emmanuel Macron et Xi Jinping au cours des premières semaines de l'année 2018 semblent donner le ton : globalisation réformée pour le premier (Discours de Davos) et développement tous azimuts des investissements en infrastructure en Europe de l'Est, Afrique et Amérique Latine pour le second. La « Nouvelle Route de la Soie » prend forme : Paris et Pékin en seront les deux grands piliers.
Pour le président français, l'année débute avec un voyage d'état de quatre jours en Chine : illustration avec les nouvelles routes de la soie. « Les méconnaître serait une erreur, il faudra alors les subir », prévient Emmanuel Macron, qui veut que ces nouveaux corridors soient à double sens : « Les trains qui arrivent à plein chez nous doivent repartir à plein vers la Chine »!... Ancien élève d'HEC, et praticien du temps long cher à Élisée Reclus, le locataire de l'Élysée sait que la notion même de « route de la soie » reliant l'Est de la Chine à l'Europe occidentale est dans une large mesure une invention française : pendant des siècles, les Radhanites, marchands gréco-levantins établis entre Lyon et Valence dans la Vallée du Rhône (du grec Ῥοδανός, Rhôdhanos), ont été les principaux acteurs des grandes routes terrestres, fluviales et maritimes qui longent les rives de la Méditerranée, du Danube et de la mer Caspienne pour arriver au fabuleux pays de la soie (Serica). Et c'est en français que le marchand vénitien Marco Polo choisit de rédiger le « Devisement du monde ».
Cette nouvelle « Connaissance de l'Est » constitue un élément essentiel de l'ambition géoéconomique retrouvée de la France : fruit d'une réflexion stratégique résolument « long-termiste » , elle rompt avec les hésitations germano-américaines en la matière et semble préférer la figure « planificatrice » du panda chinois à celle du taureau impétueux chère aux idéologues néo-conservateurs de Washington et Berlin! De retour à Paris, Emmanuel Macron convie à Versailles (le 22 janvier 2018) les patrons des plus grandes entreprises américaines, canadiennes, japonaises, chinoises, etc., pour le sommet « Choisir la France » (‘Choose France') qui se tiendra désormais tous les ans juste avant Davos afin de « faire un point annuel sur les réalisations concrètes de l'année passée ». Pour la première fois depuis quarante ans, un dirigeant français fait de l'attractivité territoriale un pivot de sa politique économique et financière : il était temps.
À Davos, à l'ouverture du forum le 23 janvier, c'est le président français qui paraît « donner le ton », selon les termes des observateurs américains présents – notamment Adam Gopnik, éditorialiste du New Yorker magazine et Ian Bremmer, président de l'Eurasia Group et géo-politologue réputé de l'Université de New York (NYU) : son discours sur une mondialisation plus équilibrée permet de fédérer les espérances d'un nouveau consensus centriste face aux tentations de repli populistes... Un seul grand dirigeant manque à l'appel et, pourtant, son nom est sur toutes les lèvres à Davos : depuis Pékin, Xi Jinping vient d'inviter les présidents sud-américains et caribéens à le rejoindre pour élargir la Nouvelle Route de la Soie au monde dans son ensemble… Effaré, le New York Times en est réduit à constater « qu'à Davos cette année, la vraie star aura été la Chine, et non pas Trump ». Le 26 janvier 2018, à l'heure où les hôtels de luxe des Grisons voyaient partir les derniers « Davos men », le gouvernement chinois a publié un projet d'extension arctique de son réseau mondial, imposant à ses nouveaux partenaires russes, canadiens et norvégiens son rythme de développement effréné…
M. Nicolas J. Firzli est directeur-général du World Pensions Council (WPC), l'association internationale des dirigeants de fonds de pension publics et privés et membre du conseil consultatif de la Global Infrastructure Facility (GIF) de la Banque Mondiale. Membre de la SFAF et du comité de rédaction de la revue Analyse financière, il est auteur de nombreux articles.
Contact : revue@sfaf.com
Nicolas Firzli. « The New Geopolitics of Globalization : Bulls, Pandas and the Road to Charlevoix » Revue Analyse Financière 66 (2018): 51-52
cf. notamment Firzli, M N., and Vincent Bazi. « Transportation Infrastructure and Country Attractiveness. » Revue Analyse Financière 48 (2013): 67-68