La finance comportementale, consacrée avec l'attribution du prix Nobel à Richard Thaler en octobre 2017, est un fascinant domaine. Édouard Camblain (Société Générale Private Banking) & Daniel Haguet (EDHEC Business School), co-présidents de la commission « Finance comportementale » de la SFAF créée en janvier 2018 publieront régulièrement, dans la Lettre de la SFAF, des articles permettant aux lecteurs d'approfondir leurs connaissances en la matière.
L'épisode 1 proposé ce mois-ci est consacré à un travers fortement répandu chez les investisseurs : l'effet de disposition.
Pendant des décennies, la science économique et la théorie financière ont reposé sur un socle fondateur incontournable : la rationalité des agents. La majorité des concepts, qui est enseignée à ce jour dans l'enseignement supérieur, suppose le recours à cette hypothèse. Or, la réalité s'avère être différente…
L'effet de disposition, introduit par Shefrin & Statman en 1985, est une parfaite illustration de l'impact négatif des biais psychologiques sur la performance financière des investisseurs.
Pour la majorité d'entre nous, investisseurs particuliers, un portefeuille de valeurs mobilières est composé à la fois de titres gagnants (en plus-value) et des titres perdants (en moins-value). Une étude académique réalisée par Odean (1998) montre que, sur la base de 10 000 comptes individuels de 1987 à 1997 (près de 100 000 transactions), les particuliers ont tendance à liquider en priorité les titres gagnants et à conserver les titres perdants, motivés par l'aversion à la perte et la croyance en un futur retournement de situation.
Le portefeuille est donc progressivement composé de plus en plus de titres perdants et de moins en moins de titres gagnants. D'après Odean (1998), sur une base annuelle, l'impact négatif sur la rentabilité du portefeuille comparé à la moyenne du marché américain est de 3.41 %.
Tout d'abord caractérisé aux États-Unis grâce aux données clients d'un courtier en ligne, l'effet de disposition a été étudié dans de nombreux pays qui ont présenté des résultats similaires (France, Chine, Allemagne, Suède, Finlande…). Selon Cici (2012), même les gérants de mutual funds peuvent en être victimes. Nous souffrons tous d'une tendance à conserver les titres perdants dans l'espoir d'un retour à bonne fortune et qui conduit en priorité à liquider les titres présentant une plus-value.
Comment éviter d'être pénalisé par l'effet de disposition ?
Deux formes de solution peuvent être identifiées :
- La première est une bonne connaissance de ces biais très humains afin de les identifier et de les maîtriser au mieux. Les célèbres surperformances de Warren Buffet reposent précisément sur une très grande discipline : acheter à un cours prédéterminé et vendre à un cours également prédéterminé quelles que soient les influences du moment. Pourquoi ne pas prévoir une vente systématique lorsque le cours a baissé d'un certain pourcentage ou, à l'inverse, a réalisé une certaine performance ?
- La seconde est de faire appel à des professionnels qui utilisent des outils quantitatifs (rejoignant la discipline décrite ci-dessus) pour limiter l'impact des biais psychologiques humains. Ainsi, un travail de Shapira & Venezia (2001) montre que, en comparant deux échantillons de clients, l'un gérant son portefeuille de manière indépendante et l'autre bénéficiant d'une gestion professionnelle, ce dernier souffre moins de l'impact de l'effet de disposition. En effet, même sans approche quantitative, le gérant mettra davantage de distance émotionnelle entre le portefeuille géré et la performance, permettant sans doute de meilleures prises de décisions.
Quelle leçon tirer de cette chronique ? La première serait la suivante : compte tenu de l'influence de la psychologie des investisseurs, une bonne gestion de portefeuille repose au moins autant sur la bonne gestion de ses pertes que sur la gestion de ses gains.
Un dicton boursier nous explique bien que « tant que l'on n'a pas vendu, l'on n'a pas perdu »…