La dernière édition de la revue Analyse financière a publié un dossier particulièrement dense intitulé « Les Nouvelles Routes de la Soie - Ambitions économiques, visées financières ». Nous avons demandé à Valérie Niquet, responsable du pôle « Asie » à la Fondation pour la recherche stratégique et auteure du récent ouvrage « La puissance chinoise » , de prolonger cette réalisation en livrant son point de vue sur la « superpuissance » économique, culturelle, démographique, nucléaire, politique et militaire que représente la Chine aujourd'hui.
L'idée circule que le projet OBOR a pour objectif d'asseoir l'influence chinoise par rapport aux 4 grands acteurs mondiaux : les Etats-Unis, l'Inde, la Russie et l'Europe. Selon vous, est-ce la réalité ?
Le projet OBOR, « One Belt, One Road », a été lancé en 2013 par le Président Xi Jinping lors de visites au Kazakhstan et en Malaisie. L'objectif était, initialement, de rassurer les voisins de Pékin en Asie du Sud-Est, inquiets des offensives chinoises en mer de Chine méridionale, et de resserrer les liens avec l'Asie centrale pour des raisons de sécurité, d'approvisionnement énergétique et d'accès à de nouveaux marchés.
Puis ce projet est progressivement devenu le moyen pour le Président Xi Jinping de renforcer le prestige de la Chine et du parti communiste, en vantant les succès du « modèle chinois » de développement, opposé au modèle occidental.
L'aspect du financement est crucial pour la bonne réalisation des Nouvelles routes de la Soie. Or, d'importantes sommes d'investissement seraient dépensées en pure perte et il existerait des risques crédits considérables. Dans ce contexte, quels peuvent être moyens financiers envisagés par les autorités chinoises pour parvenir à leurs fins ?
Au-delà d'un discours très volontariste, qui vise à globaliser le « rêve chinois » pour mieux légitimer la puissance chinoise, la question de la mise en oeuvre s'avère très complexe. L'OBOR est d'abord perçu comme une opportunité, pour les entreprises chinoises, mais aussi les autorités locales et les Think-tanks de faciliter l'accès à de nouveaux financements et à de nouveaux crédits. Il s'agit de contourner les positions officielles de rééquilibrage de l'économie fondées sur la réduction des investissements et d'une dette qui atteint aujourd'hui 250 % du PNB.
OBOR se traduit par l'exportation d'un modèle de croissance rapide fondé sur la construction massive d'infrastructures, notamment de transports, dont la rentabilité n'est pas assurée. La Chine souhaite engager de nouveaux investisseurs, dont la banque mondiale ou la banque asiatique de développement, en se greffant, par exemple, sur des projets existants, mais avec un succès limité en raison du manque de transparence qui caractérise les projets chinois.
Les conditions imposées par Pékin à ses partenaires suscitent par ailleurs des phénomènes de rejet. La rentabilité du projet OBOR est aussi grevée par son extension en apparence sans limites, et par le fait qu'aujourd'hui les pays les plus intéressés sont également les plus fragiles.
Pensez-vous que la libéralisation financière de la Chine (création de la NDB BRICS et de l'AIIB, création du fonds de la Route de la Soie et du fonds de coopération sud-sud pour le climat, internationalisation du renminbi, mise en place de la Green Finance Task Force qui favorise les émissions de Green Bonds…) puisse aboutir à une réorganisation de la finance mondiale ?
On parle beaucoup du rôle de la Chine dans le système financier mondial, et ce discours sert les intérêts chinois d'affirmation de puissance. En revanche, la réalité est beaucoup plus limitée. En 2015, les investissements chinois à l'étranger se sont considérablement renforcés, mais souvent pour des motivations qui tenaient plus à la fuite des capitaux - pour répondre notamment aux risques liés à la campagne de lutte contre la corruption - qu'à une véritable montée en puissance coordonnée. Les autorités chinoises ont depuis considérablement renforcé le contrôle sur les investissements extérieurs. Enfin, si le yuan a été inclus dans le papier de monnaies du FMI en 2016, le rôle de la Chine comme puissance financière internationale demeure très limité, en raison du contrôle qui continue de s'exercer sur la monnaie chinoise qui n'est pas une devise convertible. Et la part du yuan dans les paiements internationaux demeure extrêmement faible, sous la barre des 2%.
Dans le dossier récemment publié par la revue Analyse financière, Jean-Luc Buchalet présente le contexte immobilier comme « une bombe à retardement ». Etes-vous d'accord avec cette vision ?
Le modèle chinois de développement fondé sur les investissements massifs, qui soutiennent les chiffres de la croissance, s'est traduit par la multiplication de projets immobiliers dont la rentabilité est régulièrement dénoncée comme très fragile. La direction chinoise tente de reprendre le contrôle de ces grands projets - qui sont aussi très liés au système de corruption qui intègre le parti communiste, source d'autorisation, et les entreprises publiques ou semi publiques qui mettent en oeuvre ces projets.
Le risque de réduire trop brutalement la croissance dans un pays qui n'a pas encore achevé sa transition économique et dont les besoins sociaux demeurent considérables, pèse sur ces velléités de rééquilibrage. La volonté de ne pas toucher aux fondements du système politique, dont le système de propriété collective de la terre, constitue également un handicap majeur pour les capacités d'évolution du système chinois.
Propos recueillis par Michèle Hénaff, rédactrice en chef de la revue Analyse financière