La commission Analyse extra-financière de la SFAF et son groupe de travail Gouvernance avaient pris position le 5 novembre dernier dans un document adressé à la Direction générale du Trésor, en préparation des discussions sur la reconduction de l'ordonnance du 2 décembre 2020 qui précise les conditions de tenue des Assemblées générales dans le cadre du huis clos. Explications d'Hubert Mathet, responsable du groupe de travail.
Les statistiques 2020 sont sans appel : 110 sociétés du SBF 120 ont tenu leur AG 2020 à huis clos. Dans l'urgence sanitaire et avec le recul (la seconde vague de la pandémie aurait empêché les tenues physiques d'AG quoi qu'il arrive), il est normal d'observer ces chiffres. Ce qui est plus curieux, c'est que l'anticipation des conditions de tenue de ces mêmes AG en 2021 n'ait provoqué chez ces émetteurs aucune initiative visible vers le vote en séance par la voie électronique.
Lors d'une conférence tenue le 4 mars 2021 par Euronext et le Cercle des Administrateurs sur le thème « L'AG 2.0 - A quoi ressemblera l'Assemblée Générale de demain ? », tant Astrid Milsan, Secrétaire générale adjointe de l'AMF, que Julien Bracq, Adjoint au chef de bureau FINENT3 de la Direction générale du Trésor, ont à plusieurs reprises insisté sur le fait que la loi autorisant la mise en place du vote électronique à distance existait depuis… 2001.
Effectivement, la loi NRE a permis d'insérer à l'article L225-107 du Code de Commerce un alinéa II qui précise : « Si les statuts le prévoient, sont réputés présents pour le calcul du quorum et de la majorité, les actionnaires qui participent à l'assemblée par visioconférence ou par des moyens de télécommunication permettant leur identification et dont la nature et les conditions d'application sont déterminées par décret en Conseil d'État ».
L'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020 dispense au surplus les entreprises de présenter des statuts conformes à la loi NRE.
Malgré ces 20 années écoulées et la survenance de la pandémie il y a déjà un an, si l'on veut être un brin provocateur, on peut répondre à la question posée ci-dessus : « l'AG de demain – en France – ressemblera à celle d'hier ». Et si on veut forcer encore plus le trait, cette affirmation peut être complétée par un cinglant « circulez, il n'y a rien à voir ».
L'AMF rappelle à dessein dans son rapport du 24 novembre 2020 sur la gouvernance des entreprises que quelques rares exemples de sociétés européennes cotées sur Euronext ont permis le vote électronique lors des assemblées de 2020. Au-delà de ce pâle constat, une note de bas de page indique « V. not. J. Granotier, "Vers un véritable vote électronique en assemblée générale ?", Droit des sociétés, n° 8-9, août 2020, repère 8 : "En conclusion, s'il n'existe pas de barrière juridique (on peut même considérer que la tendance est, au contraire, à la promotion du vote électronique, sous l'impulsion de la directive n° 2017-828 du 17 mai 2017 en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires et de la recommandation AMF 2012-05, modifiée en octobre 2018), ni de barrière technologique (sous réserve de pouvoir s'assurer de la fiabilité et de la sécurité des systèmes de vote), il ne manquerait finalement plus qu'une véritable volonté, de la part des associations professionnelles, de mettre en place ce vote électronique en direct des actionnaires". »
Il n'en fallait pas plus, au cours de la conférence d'Euronext, pour que la question visant cette « volonté » défaillante, voire une certaine mauvaise foi de la part des émetteurs, ne soit posée. La réponse de l'un des intervenants n'a pas manqué de surprendre : « on ne parle pas ici de mauvaise foi mais plutôt de peur de ne plus réussir à avoir cette vision anticipée des votes » et d'ajouter que « la vision de beaucoup de dirigeants est que l'assemblée générale, ça se contrôle ».
Et l'intervenant de conclure qu'une évolution vers une Assemblée générale où le vote en direct électronique pourrait prendre toute sa place, constitue une forme de « choc culturel ».
Nous sommes ici à nouveau au cœur des rouages de la gouvernance où une loi vieille de vingt années, doublée d'une ordonnance incitatrice, peine à trouver son application car les « mauvaises » habitudes de place sont visiblement bien ancrées dans les esprits.
Cela pose inévitablement la question de la transparence des procédures de votes et de la relation particulière entre les émetteurs et les services titres des banques de la Place.
Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre ce que signifie cette « vision anticipée » et les conséquences qu'elle peut engendrer éventuellement sur les résultats des votes.
La barrière technologique et les coûts associés, même majorés au regard des délais d'implémentation très courts liés à la pandémie, sont de (très) mauvaises excuses pour différer ces investissements qui devraient être en place depuis des années et qui ne peuvent être que bénéfiques au dialogue actionnarial.
Que la Place de Paris, presque à l'unisson, dise qu'il faille attendre… 2022 pour que ces dispositions soient effectives, constitue un formidable pied de nez aux actionnaires, au régulateur, à la Loi.
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