La valorisation actuelle des banques européennes est marquée par leur faible rentabilité et les effets de la crise sanitaire, mais elle est aussi directement impactée par la politique de la Banque Centrale Européenne (BCE), en termes de taux bas et de distribution de dividendes. Une reprise économique à l'été pourrait changer la donne. Elle pourrait, à l'issue des résultats du T2-21, réveiller l'intérêt des investisseurs et encourager une consolidation du secteur, d'abord dans les activités de banque d'investissement. Analyse d'Antoine Houssin, responsable du groupe sectoriel Banque-Assurance de la SFAF.
La BCE à la manœuvre
Depuis le début de la crise du Covid, la BCE s'est affirmée comme un acteur essentiel, à la fois à travers sa politique monétaire et comme superviseur unique des banques européennes :
- Sa politique de rachats d'actifs et son effet d'aplatissement sur la courbe des taux réduisent les marges d'intérêt des banques ;
- Elle encadre davantage la gestion des fonds propres réglementaires des banques afin de permettre leur soutien de l'économie ;
- En contrepartie, elle leur demande, notamment, de rester modérées en matière de politique de distribution de dividendes, au moins jusqu'au 30 septembre 2021, bien qu'elle ait assoupli ses recommandations en la matière par rapport à 2020 ;
- Indépendamment de la crise du Covid, elle a, à nouveau, fait part de son souhait de voir les banques européennes s'orienter vers une consolidation, en publiant le 12 janvier 2021 un guide sur l'approche prudentielle de la consolidation à l'issue d'une consultation publique qui s'était achevée le 1eroctobre 2020. La BCE a précisé qu'elle utiliserait les outils de supervision dont elle dispose pour faciliter la mise en œuvre de projets de consolidation durables.
Vers une revalorisation des banques européennes en cas de reprise économique ?
La très faible valorisation actuelle des banques s'illustre par un multiple « valorisation/actif net » de seulement 0,5x en moyenne pour les grandes banques européennes, avec des différences notables puisqu'il varie de 0,3x à 0,7x selon les banques. Elle s'explique par un coût du capital élevé, de 10 % en moyenne, supérieur au ROE d'environ 5 % en moyenne au cours des quatre dernières années. Cette faible rentabilité est due à la fois à des facteurs structurels et macroéconomiques. Les premiers sont liés à la dégradation du coefficient d'exploitation de la banque de détail (aujourd'hui d'environ 70 %), qui s'explique par le coût des réseaux de distribution traditionnels face à une digitalisation croissante des services, dans un contexte de très vive concurrence. Les seconds sont la faible croissance économique et l'environnement de taux d'intérêt – leur niveau très bas et leur forme aplatie.
Si la reprise de l'économie annoncée se confirmait, la BCE assouplirait vraisemblablement (voire abrogerait ?) sa recommandation concernant la restriction du versement des dividendes, pour peu que les provisions pour risques soient jugées suffisantes. Cette nouvelle donne pourrait se traduire par une revalorisation des banques européennes.
La question de la valorisation et du badwill
Dans ce contexte, des raisons comptables pourraient aussi entraîner un regain d'intérêt des investisseurs pour les banques européennes. En effet, dans son guide publié le 12 janvier 2021, la BCE a précisé qu'elle autoriserait la comptabilisation de badwill – écart d'acquisition négatif –, qui résulterait du rachat d'une banque à un prix inférieur à l'actif net. Le badwill présente la particularité d'être enregistré dans le compte de résultats avec un signe positif. La BCE préconise toutefois de ne pas verser de dividendes provenant des bénéfices liés à un badwill.
Les conséquences d'une reprise économique
Selon ce scénario, les effets seraient positifs pour l'activité des banques. Toutefois, la courbe des taux demeurerait sans doute toujours plus aplatie qu'avant la crise du Covid étant donné la politique de la BCE, qui resterait inchangée (sauf peut-être en cas de forte hausse de l'inflation). À préciser que le niveau actuel des taux a un impact certes négatif en banque de détail – et en gestion d'actifs – mais plus modéré en banque d'investissement étant donné, pour la banque de grande clientèle, les missions de conseil apportées en complément et les besoins de couverture accrus liés à la plus grande volatilité des marchés.
La BCE estime aujourd'hui qu'il est encore un peu tôt pour dire si les banques européennes ont constitué suffisamment de provisions pour risque et, en conséquence, lever ses restrictions en matière de distribution de dividendes. Toutefois, un assouplissement est probable en cas de résultats du T2-21 satisfaisants et de niveaux de provisions jugés raisonnables.
Dans un contexte de fragmentation du secteur bancaire européen jugée élevée par la BCE, celle-ci souhaite une consolidation, notamment en banque d'investissement, afin d'améliorer leur compétitivité par rapport aux banques américaines. En banque de détail, des fusions sont possibles afin de réduire les coûts de structure. Toutefois, une faible fongibilité transfrontalière de leurs activités est à souligner.
Une accélération cet été ?
Dans un scénario de reprise économique cet été, la consolidation du secteur bancaire européen, souhaitée par la BCE, pourrait s'accélérer à l'issue de la publication fin juillet-début août des résultats du T2-21. Cette consolidation pourrait d'abord concerner les activités de banque d'investissement.
La solvabilité du secteur est-elle susceptible d'être un frein à cette consolidation ? Les banques présentent des ratios de fonds propres élevés. Toutefois, l'avis de la BCE sur des projets de fusion pourrait être très différencié selon les banques, notamment au regard des niveaux de provisionnement.
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