TotalEnergies, Ipsos et SMTPC : les récentes assemblées générales de ces sociétés font l’objet d’une attention particulière du fait des conditions dans lesquelles celles-ci se sont déroulées. Dépôt de résolutions, rejet des rémunérations de la direction et indépendance de certains administrateurs : Hubert Mathet, responsable du groupe de travail Gouvernance de la commission Analyse extra-financière de la SFAF, revient sur ces différents points.
Un certain nombre d’assemblées générales en présentiel – enfin – ont récemment été le théâtre d’évènements qu’il est important de souligner :
- Le dépôt de résolutions qui indisposaient manifestement les managements ;
- Le regroupement d’un nombre important d’actionnaires institutionnels pour franchir les seuils légaux permettant d’inscrire à l’ordre du jour lesdites résolutions ;
- Des débats sur les questions posées largement relayés par les médias spécialisés.
Même si les résultats n’ont pas forcément été ceux espérés par les requérants, il faut souligner le courage de ce type d’entreprise qu’est le dépôt de résolution. Celui-ci sous-entend quantité d’heures de travail et de réflexion (en plus de la charge habituelle que connaissent les gérants d’actifs) pour rédiger le fond de ces résolutions et une très grande discipline quant à la forme pour s’assurer qu’elles soient valablement inscrites à l’ordre du jour.
On remarquera que ces démarches n’ont jamais été qualifiées « actions de concert », ce qui est une évidence dans les exemples ci-après. Cependant, lorsqu’un émetteur est sur la défensive, la tentation d’utiliser un vocable intimidant est grande.
Le mot « d’activisme » n’a, d’ailleurs, pas plus été prononcé, ce qui démontre bien que, lorsque l’actionnaire est dans son droit et qu’il utilise à bon escient les outils que lui offre la loi, c’est le débat d’idées qui prend le dessus et non l’invective et le contentieux.
Trois cas ont attiré notre attention, parce qu’ils révèlent des décisions et des biais fort intéressants : TotalEnergies, Ipsos et SMTPC.
Transformer, ce qui est infondé au regard des textes, le conseil d’administration de TotalEnergies en tribunal de première instance, pour qualifier des résolutions déposées régulièrement par les actionnaires est une première. Les férus de gouvernance espèrent que les « vrais » tribunaux auront à trancher ce débat afin que ce signal particulièrement négatif ne crée pas un précédent ni ne dissuade d’agir en assemblée générale les actionnaires soucieux du simple respect de leurs droits.
Le rejet des rémunérations (à titre consultatif ou pas) des dirigeants d’Ipsos doit, quant à lui, être interprété comme un vote à l’encontre de la gouvernance de l’entreprise et non comme un refus d’accepter des montants excessifs, qui ne sont pas, disons-le clairement, l’un des marqueurs de de ce groupe.
Cette façon détournée d’envoyer un signal au management révèle en fait deux problèmes, un de fond et un de forme. Le fond est assurément celui du besoin d’un dialogue actionnarial non pas occasionnel mais permanent, et pas avec un seul mais avec tel ou tel administrateur, indépendant ou non, que les actionnaires souhaiteraient rencontrer. La forme est celui de l’autocensure de certains actionnaires institutionnels qui, par peur d’être « identifiés », préfèrent voter négativement sur des sujets « annexes » afin de ne pas se voir restreints, voire privés de l’accès au management exécutif.
Ces pratiques doivent assurément évoluer : une plateforme de dialogue actionnarial, à l’instar de ce qui existe à Londres, aurait pu permettre d’introduire ces sujets auprès du management très en amont de la tenue des assemblées générales (dès 2021 en fait).
L’ensemble des acteurs, s’ils adhèrent à ce projet, en sortiront gagnants et la place de Paris grandie.
Le cas SMTPC, dont l’assemblée se tiendra le 21 juin prochain, pose quant à lui la question de l’attitude des administrateurs indépendants qui le sont « sur le papier » mais pas forcément dans la réalité. Les actions de SMTPC font l’objet d’une bataille intense entre un concert majoritaire (Eiffage/Vinci, pour 68% du capital) et actionnaires minoritaires. Comment un administrateur qualifié « d’indépendant » peut-il se maintenir à ce poste si sensible lorsqu’il est administrateur de la cible (SMTPC) et d’une société du concert (Eiffage) qui propose un prix jugé insuffisant par les minoritaires ? Si l’administrateur en question manque à ce point de discernement et qu’il refuse le dialogue, comment ne pas se poser à nouveau la question du mode de recrutement des administrateurs indépendants par les sociétés cotées, la cooptation étant aujourd’hui l’usage qui prévaut dans la majorité des cas.
Au demeurant, ces faits auront marqué tous les esprits et plaident une fois de plus pour l’instauration d’un dialogue permanent entre actionnaires et administrateurs au travers d’un outil adapté qui remettra au centre du jeu le rapport qui est instauré par la loi au travers du pouvoir des uns sur les autres, assurera la confidentialité des échanges et qui fera évoluer de façon radicale la perception et l’exécution de la mission d’administrateur de sociétés cotées en France.