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20/03/2025 Gouvernance

Administrateurs responsables ?

Le cas d’Orpéa, une mise en cause très rare pour une société in bonis

 

La SFAF, qui s’est déjà intéressée au cas Orpéa par le passé(1), a organisé un débat, le 20 février dernier, animé par le fonds d’investissement Whitelight Capital, représenté par l’un de nos membres, Kevin Romanteau, et par le cabinet d’avocats Bruzzo Dubucq en la personne de Me Tristan Girard-Gaymard. Au menu, la mise en cause devant le Tribunal de Commerce de Paris d’anciens administrateurs d’Emeis, ex-Orpéa, et de leurs commissaires aux comptes de l’époque, dans ce que les poursuivants estiment être des fautes de gestion caractérisées pour les premiers et l’engagement de leur responsabilité quant à l’approbation de comptes contestables pour les seconds. Hubert Mathet, vice-président de la SFAF et responsable du groupe de travail Gouvernance, en fait le compte-rendu.

Selon les informations fournies par Whitelight Capital, 550 actionnaires de l’ex-Orpéa se seraient unis dans cette action en justice, ce qui constitue une première sur la place de Paris (pour une société cotée en bourse), et ce pour un montant de préjudice estimé à 180 M€.
Nous avons ainsi pu explorer au cours de cette visioconférence, qui a réuni un peu plus de 40 personnes, les contours juridiques du rôle et de la mission de l’administrateur, tant au sein du conseil qu’éventuellement en dehors de celui-ci et qui, en cas de manquement, peuvent mettre en jeu sa responsabilité personnelle ou, le cas échéant, celle solidaire du conseil d’administration.

En parallèle aux échanges, était posée aux participants la question de savoir si l’enquête de Victor Castanet qui a abouti à la publication du livre « Les fossoyeurs »(2) et, indirectement, à la déconfiture du groupe, relevait ou non du mandat des administrateurs pris individuellement ou collectivement. La réponse n’est pas aisée et ne peut être tranchée de façon définitive car s’entrechoquent beaucoup de notions différentes.
Le conseil d’administration est une instance collégiale, mais les administrateurs peuvent être rendus responsables individuellement. Dès lors, quel est le degré d’initiative personnelle dont un administrateur doit faire preuve pour défendre l’intérêt de l’entreprise et de ses actionnaires ? En l’absence de texte relatif, on pourrait penser que cela relève purement de son libre arbitre et de son sens du discernement.
Il est souvent dit ou écrit que l’administrateur n’a pas de pouvoir. Pourtant il est bel et bien un dirigeant de droit et, à ce titre, porte sur le papier la même responsabilité que les mandataires sociaux. Il n’a certes pas de pouvoir individuel mais assurément des droits qu’il doit mettre au service de la collectivité.
Le conseil d’administration ne dispose légalement d’aucun moyen matériel dès lors qu’il voudrait mener ses propres investigations si la direction générale lui inspire un éventuel doute ou ne fournit pas les informations demandées. Dans un cas comme Orpéa, au regard du temps qu’a pris la construction de ce livre et des échanges multiples que l’auteur a pu avoir avec des sources internes, il est difficile de penser que des bruits visant la façon dont le groupe était géré ne soient pas arrivés jusqu’à la porte du conseil. Cette dernière était-elle si bien isolée au point qu’aucun des signaux faibles qui précèdent toujours une catastrophe de ce type ne soit remonté aux oreilles des administrateurs ? Si un doute fut soulevé à un moment ou à un autre, quelles initiatives aurait dû prendre le conseil ? On boucle clairement ici sur cette subtilité de fonctionnement du groupe entre l’individuel (premier point ci-dessus) et le collectif. L’unique certitude est qu’il revient au président du conseil de porter l’initiative.
Il traîne aussi quelque part cette petite musique de fond liée à la soi-disant immixtion dans la gestion de l’administrateur. Ce terme est souvent agité dans les cycles de formation de futurs administrateurs pour les dissuader d’aller sur le terrain se rendre compte par eux-mêmes de ce qu’il s’y passe. Le Code Afep-Medef restreint – à tort – ces visites/entretiens aux « principaux directeurs ». Rapportée au cas d’Orpéa, cette posture est bien trop limitative pour, rappelons-le encore, un dirigeant de droit. L’immixtion dans la gestion n’est pas interdite par les textes (sauf pour les banques et les auditeurs). Ce terme ne se rapporte qu’aux dirigeants de fait quand il s’agit de mesurer leur responsabilité civile ou pénale.
Reste enfin la question cruciale du temps dédié par l’administrateur à l’exécution de son mandat. Un des grands cabinets d’audit considère qu’il faut 17 heures de préparation par heure effective de conseil d’administration (à l’exclusion de toute autre initiative commandée par l’urgence ou par des diligences complémentaires). Cela représente peu ou prou pour des entreprises de cette taille 3 mois à plein temps, ce qui soulève la double question de la limitation du cumul des mandats (il faudrait donc 15 mois a minima de travail par an pour un administrateur qui pousserait l’exercice jusqu’à à la limite haute admise en France – soit 5 mandats) et celle de la sacro-sainte rémunération au regard du temps consacré audit mandat.

On espère vivement que cette procédure contre certains anciens administrateurs d’Orpéa, qui va être fort longue, aura une très grande portée pédagogique, quelle que soit son issue, pour mieux éclairer ce qu’un actionnaire est en droit d’attendre de celui qu’il élit au conseil d’administration.

(1) Voir les articles « L’enjeu du dialogue actionnarial dans la gouvernance des entreprises » de juin 2023, « Prix, valeur et confiance » de février 2024 et « Hausse des variations extrêmes des cours » d’avril 2024.
(2) « Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés », Fayard (2022).