Le rapport 2016 du Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA), communiqué fin 2017, soulignait le caractère essentiellement public des modes de financement et la participation embryonnaire du secteur privé. A l'heure où se pose avec acuité, au niveau international, la question de la capacité des Etats à financer les infrastructures, Cédric M'Beng , de la Banque Africaine de développement (BAD) et coordinateur de l'Initiative des marchés africains, revient sur ce sujet.
La population africaine augmente et s'urbanise rapidement. Cette tendance accroît les besoins en infrastructures modernes (ports, aéroports, écoles, hôpitaux et logements) qui sont des actifs nécessaires à la vie économique et sociale.
Chaque année, le Consortium pour les infrastructures en Afrique (ICA) publie un rapport annuel sur les « Tendances du financement des infrastructures en Afrique ». Le rapport 2016 indique un financement total de 62,5 milliards d'USD, dont 42% (soit 26,3 milliards) de contribution des gouvernements africains. Sur les années antérieures, le montant total (en milliards de $) des financements des infrastructures en Afrique était de 75,1 en 2012, 83,3 en 2013, 74,5 en 2014 et 78,9 en 2015. Or, la BAD estime que les besoins annuels sont compris entre 130 et 170 milliards, d'où un gap annuel d'au moins 60 à 100 milliards d'USD. Pour 2016, les principaux financeurs sont les pays asiatiques (16%), les pays européens (10,3%), la coordination des pays arabes (8,8%), l'Amérique du nord (0,2%), les gouvernements africains (42 %), les banques multilatérales de développement (15,1%) et les banques régionales de développement (3,4%). Les financements publics externes (en milliards d'USD) étaient de l'ordre de 37,9 en 2012 ; 44,1 en 2013 ; 28 en 2014 ; 47,5 en 2015 ; 33,7 en 2016.
On peut en déduire que :
- le financement des infrastructures en Afrique est essentiellement assuré par des acteurs publics ;
- la participation du secteur privé est embryonnaire ;
- la BAD et la Banque Mondiale jouent un rôle moteur ;
- la contribution des banques régionales de développement reste marginale.
Pour mieux structurer le financement des infrastructures en Afrique, il est utile d'intégrer ces informations pour asseoir des réponses crédibles. Par ailleurs, plusieurs facteurs expliquent la faible participation du secteur privé, notamment les conditions macroéconomiques et le mode de structuration des projets. D'autres contraintes concernent la faible profondeur du secteur financier domestique et le manque d'expertise des acteurs qui interviennent dans le cycle de vie des projets.
Organiser la mobilisation des ressources pour le financement des projets d'infrastructure, dans un contexte de contraintes budgétaires, nécessite une utilisation optimale des ressources publiques dans le sens de l'intérêt général en exerçant un effet de levier sur les capitaux privés. Pour cela, il faut identifier les infrastructures qui ont une incidence sur la compétitivité et la croissance à moyen terme. Il est possible, dans de nombreux cas, de titriser les infrastructures. Il s'agit d'un processus par lequel les actifs illiquides (c'est-à-dire non transférables ou non échangeables) sont transférés dans une forme plus liquide d'actifs et distribués à un large éventail d'investisseurs à travers les marchés de capitaux. Le titre est garanti par les flux de trésorerie attendus des actifs. La titrisation permet que les actifs de l'institution prêteuse soient retirés de son bilan. Puis, ces actifs sont financés par les investisseurs au moyen d'un instrument financier négociable. Cependant, pour l'exécution de ce type de technique financière, un corpus de normes prudentielles appropriées doit être en place, leur suivi scrupuleux fait que le processus fonctionne correctement.
Le financement d'un programme d'infrastructures revient à doser la participation de chaque acteur de telle sorte que chaque partie au contrat porte le risque qu'elle est à même de bien gérer. C'est pourquoi il est indispensable de soutenir l'essor de nouveaux acteurs comme les fonds d'infrastructure, Africa50, Africa Finance Corporation et l'amélioration de l'expertise dans les banques régionales. Pour assurer l'impact positif de l'investissement en infrastructures sur la production économique et impacter le bien-être social, il est nécessaire de s'assurer d'un cadre de prise de décisions et d'actions crédibles pour tous les acteurs.
Dernier ouvrage paru : « Financer l'Afrique », éditions Saint-Honoré, avril 2017 ; dernier article paru dans la revue Analyse financière : « Financer l'Afrique : Eurobond ou Eurobomb ? », édition 57 d'octobre-novembre-décembre 2015 dossier « La finance en Afrique, entre complexité et opportunités ».