La revue Analyse financière de juillet-septembre 2019 traitera des nouvelles frontières de l'analyse financière. Cette saison 2 montre que les transformations s'accentuent tout en s'accélérant tant au niveau des effets de la réglementation MiFID 2 ou de l'implémentation prochaine du format European Single Electronic Format (ESEF) que pour ce qui concerne l'univers de recherche. Intelligence artificielle appliquée à la finance, technologies quantiques, blockchain, communication financière digitale… sont au menu de cette édition. Du côté des investisseurs, les choses bougent aussi avec d'autres modes d'actions. En témoigne le rôle des activistes dont les analyses sont désormais déterminantes pour le long terme. Christophe Nijdam , membre de la SFAF et responsable de la recherche européenne d'ECGS (Expert Corporate Governance Service), répond aux questions d'Analyse financière.
Dans la revue Analyse financière de la Société française des analystes financiers (SFAF) à paraître début juillet 2019, vous publiez un article intitulé « Stratégies activistes et création de valeur ». Le thème est-il vraiment un sujet d'actualité alors que l'activisme n'a concerné que 0,49 % des sociétés cotées dans le monde en 2018 et 0,16 % de la capitalisation boursière mondiale ?
Oui, le sujet est bien d'actualité car il est le corollaire de la nouvelle directive européenne sur les droits des actionnaires de 2017, appelée « Shareholder Rights Directive », qui a été transposée en droits nationaux le 10 juin 2019. Cette directive fait suite à celle de 2007 (d'où son acronyme de SRD2) et vise à promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires. Ce pour quoi beaucoup n'étaient pas préparés, préférant se limiter à acheter au gré du newsflow d'un émetteur et à vendre quand celui-ci se dégradait, ce qu'on appelait « voter avec les pieds », une approche court-termiste. Désormais, ils devront non seulement « voter avec leurs voix » aux assemblées générales, mais aussi définir et mettre en œuvre une politique d'engagement, de dialogue sur la durée avec les émetteurs dont ils sont actionnaires. Désormais, les activistes jouent un rôle déterminant dans la responsabilisation, au sens large, des actionnaires et de leurs mandataires sur le long terme. N'oublions pas, le long terme est une succession de courts termes…
L'activisme, phénomène d'origine anglo-saxonne, n'a pas bonne presse en France. Pour quelles raisons ?
Il y en a plusieurs. Par exemple, ce rejet culturel, bien latin, des financiers anglo-saxons, souvent considérés comme des cowboys, quand on ne les traite pas de vautours qui s'invitent autour du buffet… On privilégie chez nous « l'entre soi » des gens bien élevés, l'endogamie des « revolving doors » du club feutré entre secteur privé et haute administration. Forcément, l'eau et l'huile ne font pas un bon mélange ! Mais il faut reconnaître aux activistes qu'ils font le travail d'analyse de fond que beaucoup d'actionnaires ne faisaient plus, ces derniers se contentant de l'illusion de la liquidité du marché secondaire en cas, croyaient-ils, de mauvaises nouvelles. La crise de 2007-2008 a détruit ce mythe. Et il faut donc revenir à l'huile de coude, faire son homework non seulement avant d'investir dans une entreprise cotée mais aussi tout du long de la détention de son investissement.
Une étude de la Banque Lazard souligne le nombre croissant de sièges d'activistes au sein des conseils d'administration. Selon vous, s'agit-il d'une tendance de fond susceptible d'influer sur les cours de Bourse ?
On ne fait pas élire un administrateur chez un émetteur pour qu'il reste au conseil six mois, preuve que le court-termisme facilement reproché aux activistes est un mauvais procès. L'activisme consistant à activer le levier de la gouvernance n'est qu'une des stratégies possibles, mais elle est emblématique du rôle impliqué et professionnel qu'il joue car le conseil d'administration est la tour de contrôle de l'entreprise. Quand vous êtes dans la tour de contrôle, si vous n'êtes pas là pour faire de la figuration, oui, vous pouvez influer sur le cours de Bourse, en évitant parfois même le crash en plein vol. C'est bien la défaillance de la gouvernance de Renault qui l'a mené où nous savons. En 2018, 161 sièges soutenus par des investisseurs activistes ont été obtenus au niveau mondial, en hausse de 56 % sur 2017 et 11 % au-dessus du précédent record de 145 en 2016. Bien évidemment, il y a aussi des exceptions qui confirment la règle en « faisant trois petits tours et puis s'en vont ».
Christophe Nijdam est également co-auteur de « Parlons banque en 30 questions » (en collaboration avec Jézabel Couppey-Soubeyran, La Documentation Française, deuxième édition en 2018), et auteur de « Calculatrix, 85 astuces pour jongler de tête avec les chiffres » (Les Liens qui Libèrent, édition française en 2017) et de « La finance pour les nuls en 50 notions clés», parue aux Éditions First en mai 2019.