Le rapport Tibi de juillet 2019 sur le financement des entreprises technologiques françaises, remis à Bruno Le Maire, Ministre de l'Economie et des finances, a mis en lumière les difficultés de ces sociétés françaises pour assurer leur croissance. En septembre dernier, une vingtaine d'investisseurs institutionnels se sont engagés à investir via des fonds d'investissement. Philippe Englebert, conseiller entreprises et technologies de Cédric O, secrétaire d'Etat chargé du numérique, et ancien analyste financier chez Goldman Sachs, répond aux questions d'Analyse financière.
En septembre 2019, les investisseurs institutionnels français se sont engagés à consacrer plus de 5 milliards d'euros en faveur du financement des entreprises technologiques d'ici fin 2022, puis, le 13 janvier dernier, Bruno Le Maire et Cédric O ont réuni ces investisseurs pour formaliser leur engagement. Quelles sont les catégories d'entreprises concernées ? Certains secteurs « tech » sont-ils plus visés que d'autres ?
Ces engagements atteignent même maintenant plus de 6 milliards d'euros ! Bien plus encore avec l'effet de levier qu'auront ces investissements sur la capacité des sociétés de gestion bénéficiaires à collecter auprès d'investisseurs institutionnels étrangers. C'est une initiative qui va changer la donne. Sont ciblées des entreprises possédant (ou développant) une technologie ou exploitant les opportunités technologiques pour bâtir un avantage concurrentiel à travers un modèle d'affaires innovant, leur permettant de se distinguer des acteurs traditionnels. Toute la « tech » est visée, de la biotech à la fintech en passant par la robotique et l'e-commerce. Il n'y a pas non plus de restriction géographique pour éviter toute bulle et assurer une bonne diversification. Nous comptons sur le développement d'une expertise et le biais domestique qui seront favorables aux entreprises françaises.
Quel est le rôle du comité technique mis en place ?
Il y a en réalité deux comités techniques, un pour le non-coté (fonds late stage / growth) et un pour le coté (fonds « global tech »). Leur rôle principal est d'établir l'éligibilité des fonds candidats à l'initiative sur la base d'un cahier des charges, afin de s'assurer de leur adéquation avec l'objectif, défini dans le rapport Tibi, de permettre le financement des stades les plus matures de futurs leaders technologiques. L'éligibilité permettra aussi de décompter et suivre les engagements pris par les investisseurs partenaires. Je voudrais souligner que l'Etat y est, bien sûr, représenté par le biais du Trésor et de Bpifrance mais n'y vote pas car son rôle est celui de catalyseur ; mais ce sont aux investisseurs de décider.
Les sociétés de gestion sont placées en première ligne. Tous les fonds sont-ils concernés ou bien seulement les fonds spécialisés ? Quels sont les critères de sélection ?
Les critères de sélection ont été rendus publics dans un cahier des charges qui servira de base à la décision des investisseurs partenaires. Nous avons souhaité être le plus transparent possible. Nous visons les fonds spécialisés sur l'investissement dans les entreprises technologiques afin de développer une expertise dédiée sur la Place parisienne. Nous ne cherchons pas à financer des fonds généralistes où l'exposition au secteur technologique est proche du benchmark. Les critères de sélection pour obtenir l'éligibilité concernent essentiellement la stratégie d'investissement et les équipes de gestion pour bien viser les entreprises technologiques et s'assurer du développement de compétences en France. Il convient ensuite aux investisseurs partenaires de faire leurs propres due diligences sur les autres aspects.
L'évaluation des sociétés technologiques est un sujet pour les analystes financiers, comme l'est la prise en compte des critères ESG. Selon vous, quelle place occupe l'analyse financière dans la sélection et le suivi des entreprises sélectionnées ?
L'objectif de l'initiative est d'enclencher un cercle vertueux de l'investissement dans les entreprises technologiques par le maillon essentiel des liquidités. Grâce à cet argent confié sur le long terme à des sociétés de gestion, ces dernières vont pouvoir développer dans la durée des compétences sur cette classe d'actifs en particulier. Cela sera aussi également bénéfique à la recherche « buy side » car elles auront les moyens d'y recourir. Ce développement de compétences en matière d'analyse financière est au cœur du dispositif.
Propos recueillis par Michèle Hénaff, rédactrice en chef d'Analyse financière
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