Daniel Haguet, professeur de finance au sein de l'EDHEC Business School, a réalisé un travail académique sur le comportement des investisseurs individuels français. Cette étude analyse aussi les prises de décisions de cette catégorie d'acteurs sous le prisme de l'analyse comportementale.
En mars 2016, vous avez publié un travail doctoral sur le comportement des investisseurs individuels français. En quoi celui-ci diffère-t-il du comportement des investisseurs institutionnels ?
Daniel Haguet : Des travaux aux Etats-Unis confirment que les investisseurs institutionnels suivent majoritairement une stratégie dite « momentum » ou « pro-cyclique ». En pratique, ils ont tendance à suivre la tendance du marché, acheter quand le marché monte et vendre quand le marché baisse. Les travaux sur les investisseurs individuels sont beaucoup moins nombreux en France qu'aux Etats-Unis et le mien apporte une contribution significative à la connaissance de leurs mouvements. Mon travail est fondé sur l'analyse d'un fichier de clients d'un courtier en valeurs mobilières en ligne durant le période janvier 2006 à juin 2008 (13.000 clients, 16.000 comptes et 1,3 millions de mouvements). Il s'avère que, de manière statistiquement significative, les investisseurs individuels français adoptent un comportement dit « contrarian » ou contra-cyclique, c'est-à-dire qu'ils achètent à la baisse et vendent à la hausse par rapport à l'indice domestique, le CAC 40. Cette analyse est en ligne avec celles réalisées aux Etats-Unis, qui démontrent un comportement similaire. Pour de nombreux chercheurs, cette différence entre des investisseurs institutionnels pro-cyclique et les investisseurs individuels contra-cyclique est cohérente car elle constitue un facteur de liquidité du marché. En effet, les achats de l'une des catégories d'agent bénéficie des ventes de l'autre catégorie, et inversement.
L'absence d'investisseurs individuels sur le marché français a été maintes fois soulignée ces dernières années par les professionnels du secteur. Quels éléments nouveaux votre étude apporte-t-elle et quel message faire passer aux responsables politiques ?
DH : Parmi ces facteurs qui motivent la décision d'achat, il est intéressant de remarquer que les individus qui utilisent le Service à Règlement Différé (SRD) sont plus enclins à faire des achats. Nous pouvons analyser ce facteur comme un signe de sophistication. En clair, les investisseurs individuels les plus sophistiqués, donc les mieux éduqués, sont les plus actifs. Ce résultat plaide donc pour un développement de l'éducation financière des individus en général, et des investisseurs individuels en particulier. Plus largement, nos responsables politiques doivent impérativement intégrer le fait que les investisseurs individuels sont une composante majeure des agents intervenant sur les marchés financiers, spécialement les marchés d'actions. Toutes les initiatives favorables à une meilleure connaissance des marchés financiers doivent être encouragées. L'enseignement à distance me parait une technique à privilégier.
De nombreuses recherches ont pour sujet la finance comportementale. Qu'apportent-t-elles à la théorie financière traditionnelle ?
DH : la théorie financière traditionnelle repose sur un postulat de rationalité de l'individu et les conséquences que l'on peut en tirer (construction de portefeuille, rentabilité des actifs, etc.). En pratique, elle propose une série de résultats sur la manière dont l'individu devrait prendre ses décisions financières. La finance comportementale apporte une meilleure connaissance du comportement réel des individus sur la base de nombreux travaux empiriques. Elle fournit ainsi une meilleure compréhension du comportement face au risque. Pour l'industrie financière, les résultats sont extrêmement utiles car ils permettent, par exemple, de construire des produits financiers mieux adaptés. La finance comportementale n'est pas simplement une série de tests psychologiques. Il s'agit d'un vrai domaine de recherche reconnu et publié dans les meilleures revues académiques.