Rôle et constats de l’ESMA
Isabelle Grauer-Gaynor, Head of Corporate Finance and Reporting Unit de l’European Securities and Markets Authority (ESMA), présente le rôle de l’autorité de surveillance indépendante, pendant européen de l’AMF, et revient sur le rapport analysant la manière dont les entreprises appliquent les normes IFRS.
Pouvez- vous rappeler le rôle de l’ESMA et de l’organisation avec les régulateurs européens, c’est-à-dire avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) ?
L’ESMA a été créée en 2011 pour renforcer la protection des investisseurs et promouvoir la stabilité et le bon fonctionnement des marchés financiers. En ce qui concerne l’information périodique publiée par les entreprises, il est important de souligner que l’ESMA ne dispose pas de pouvoirs de surveillance directe sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé. Par conséquent, les travaux de l’ESMA dans le domaine du contrôle de l’information financière (IFRS et Indicateurs alternatifs de performance – APM en anglais) et non financière portent principalement sur la promotion et le renforcement de la convergence en matière de surveillance au niveau européen et, partant, sur la réduction de l’arbitrage réglementaire. Pour ce faire, l’ESMA i) émet des recommandations et avis à destination des acteurs des marchés financiers, ii) examine et discute de cas rencontrés concernant l’application des IFRS, des APM et en matière d’information non financière, iii) publie des orientations(1) (Guidelines) visant à harmoniser les procédures de contrôle, iv) procède à des revues de pairs (peer reviews) afin d’évaluer la manière dont ces orientations sont mises en œuvre et v) publie des rapports sur l’application des IFRS, des APM, de l’information non financière par les émetteurs et sur les activités de contrôle des autorités nationales compétentes.
Les autorités nationales compétentes sont, quant à elles, chargées du contrôle des informations financières et non financières publiées par les émetteurs : il s’agit d’examiner ces informations, de poser des questions aux émetteurs, d’analyser les informations complémentaires reçues des émetteurs, de décider si, sur la base de ces informations, les éléments faisant l’objet de leur contrôle présentent des anomalies significatives et, en fin de compte, de prendre des mesures coercitives (qui peuvent ou non comporter des sanctions pécuniaires). Dans le cadre de ce processus, de nombreuses autorités nationales compétentes collaborent directement avec les PDG, directeurs financiers, comités d’audit des émetteurs, ainsi qu’avec les auditeurs externes en posant des questions par écrit, en organisant des réunions pour discuter de leurs conclusions ou en informant ces acteurs des sujets et questions soulevés ainsi que des mesures prises au cours du processus de contrôle.
Quelle est votre synthèse des contrôles réalisés a postériori ?
Tout d’abord, il est important de souligner que l’application des IFRS en Europe conduit à une information financière qui fournit une base adéquate pour les décisions des investisseurs. Nous réaffirmons notre soutien à l’application des IFRS en Europe. Les IFRS sont adaptées à cette finalité et les utilisateurs des états financiers peuvent s’appuyer sur les informations préparées conformément aux IFRS pour leurs décisions d’investissement.
En ce qui concerne notre rapport, l’ESMA recueille chaque année des informations auprès de toutes les autorités nationales compétentes concernant le nombre d’émetteurs contrôlés, les types de contrôles effectués et les mesures prises en ce qui concerne les anomalies significatives. Ce rapport, qui ne répond pas à une obligation réglementaire, est un exercice de transparence de la part de toutes les autorités nationales compétentes et de l’ESMA sur leurs activités de contrôle, leurs conclusions et les actions en résultant. L’ESMA effectue ce travail de restitution et a apporté des améliorations à ce rapport au fil des années. Ainsi, ce n’est que très récemment que l’ESMA a commencé à publier des statistiques pays par pays et à fournir des ventilations concernant le type d’information sur lequel portent les actions(2) (informations fournies en annexe, évaluation, présentation des états financiers). Hors UE, toutes les autorités compétentes ne produisent pas de telles statistiques et ne sont pas aussi transparentes.
Evidemment, la pratique et l’expérience en matière d’application des IFRS et de contrôle ont évolué depuis leur mise en œuvre. Ainsi, l’ESMA a observé les progrès accomplis par les émetteurs dans l’application des IFRS. En 2005, la plupart des cas examinés faisait référence à des erreurs simples d’application des principes IFRS. Aujourd’hui, les cas examinés au sein des groupes de l’ESMA sont souvent complexes, nécessitent de prendre en compte de nombreux aspects et requièrent l’exercice d’un jugement significatif. Ils font d’ailleurs l’objet de débats soutenus.
De la même manière que les IFRS ont évolué au fil des années, les phénomènes économiques et financiers à prendre en compte ont également changé. Personne, il y a quelques années, ne pouvait s’attendre à l’émergence d’une pandémie telle que la COVID-19, au développement de monnaies virtuelles ou au besoin de prendre en compte l’évolution du climat dans l’information financière, pour n’en citer que quelques-uns. Tous ces phénomènes ont en commun qu’ils requièrent l’exercice d’un jugement significatif de la part de la direction des entreprises. Jugement qui doit être expliqué et présenté de manière claire et exhaustive. Parmi d’autres facteurs tels que la mise en œuvre de nouvelles normes IFRS, ceci contribue à expliquer le nombre élevé de mesures prises par les autorités de contrôle en ce qui concerne les informations à fournir en annexe.
En ce qui concerne le taux d'action(3), l’ESMA estime qu’il ne peut, pris isolément, être considéré comme un indicateur de la qualité de l’information financière. C’est la raison pour laquelle notre rapport ne se prononce ni sur la qualité générale de l’information financière résultant des IFRS en Europe, ni sur celle du travail des auditeurs ou sur leur évolution. Ainsi que je l’ai déjà dit, ce rapport vise principalement la transparence sur les travaux des autorités de contrôle. Nous estimons qu’il s’agit là d’un signal indiquant que le système de contrôle fonctionne et que les travaux des autorités de contrôle se font indépendamment du fait que l’auditeur ait ou non émis une opinion favorable sur les états financiers d’un émetteur.
Bien que le taux d’action soit élevé et ait progressé de 22% en 2014 (année à compter de laquelle ces statistiques ont été disponibles) à 40% en 2021, ce nombre n’est pas totalement comparable d’une année à l’autre. Ceci s’explique tant par les thématiques contrôlées, ainsi qu’évoqué précédemment, que par la variation du niveau des activités de contrôle des autorités nationales compétentes. Ainsi, par exemple, le système de contrôle actuel n’est entré en vigueur en Suède qu’en 2019, tandis que la FRC britannique ne fait, depuis 2020, plus partie des statistiques de l’ESMA.
Revenons à ce qui compose ce taux d’action : la plupart des mesures prises porte sur les informations fournies en annexe (par opposition à des mesures concernant l’évaluation des éléments des états financiers ou la présentation des états financiers). L’ESMA et les autorités nationales compétentes estiment que la bonne qualité des informations fournies en annexe est essentielle. Ainsi, conformément aux principes IFRS et aux explications de l’IASB, des informations manquantes, vagues ou obscurcies peuvent constituer des anomalies significatives. Les investisseurs, notamment les investisseurs de détail, et les utilisateurs des états financiers doivent être en mesure de comprendre comment les chiffres figurant dans les états financiers sont déterminés, mesurés et comptabilisés. Par conséquent, il n’est pas surprenant que les informations fournies en annexe restent au cœur de l’action des autorités nationales compétentes. Et si relativement peu de mesures ont été prises en ce qui concerne les principes de comptabilisation et d’évaluation, ceci devrait conforter la confiance des marchés dans l’information financière produite par les émetteurs européens.
La suite de cet entretien est disponible via ce lien en accès réservé aux abonnés.
(1) Orientations sur le contrôle des informations financières (ESMA32-50-218) et Orientations sur les Indicateurs Alternatifs de Performance (ESMA/2015/1415fr).
(2) Réémission des états financiers, publication d’une note corrective ou correction dans les futurs états financiers ainsi qu’un ajustement des données comparatives si besoin.
(3) Proportion d’actions prises par rapport à l’émetteur d’émetteurs contrôlés.