Stéphane Bellanger, membre de la commission Comptabilité de la SFAF et analyste financier, et Jean-Etienne Palard, maître de conférences en Corporate Finance et chercheur à l’IRGO(1), analysent en quoi IFRS 9 a modifié l’approche des banques quant au risque de crédit depuis sa mise en application en 2018.
L'entrée en vigueur de la norme IFRS 9 (International Financial Reporting Standard 9) par l'IASB en 2018 a marqué un tournant décisif dans la régulation comptable du secteur financier. Cette réforme d'envergure a profondément métamorphosé les pratiques des établissements bancaires, en instaurant un nouveau paradigme fondamental : l'anticipation du risque de crédit.
Là où la norme précédente IAS 39 se concentrait principalement sur la comptabilisation des pertes déjà encourues, IFRS 9 a érigé l'anticipation des pertes attendues (Expected Credit Losses - ECL) comme principe cardinal incontournable. L'essence même de cette refonte normative réside dans l'introduction d'un mode inédit de provisionnement basé sur la probabilité estimée de défaut des emprunteurs, rompant ainsi avec l'approche antérieure focalisée sur la survenance avérée d'événements de crédit.
Concrètement, deux niveaux d'analyse du risque sont définis. Le niveau 1 repose sur une approche standardisée applicable aux crédits peu risqués, nécessitant un provisionnement sur 12 mois glissant. Le niveau 2, dédié aux montages plus complexes, exige, quant à lui, un provisionnement sur la durée de vie totale en cas de détérioration significative identifiée. C'est ce basculement du niveau 1 au 2 qui engendre un impact majeur sur les comptes.
Au-delà des aspects techniques comptables, l'introduction d'IFRS 9 a transformé en profondeur les activités des banques. Un renforcement des systèmes de contrôle, une refonte des modèles de notation intégrant la dimension prospective, ainsi qu'une gestion globale plus rigoureuse des risques sont indispensables, entraînant inévitablement des hausses de coûts. Les entreprises clientes se sont également vues contraintes de rehausser leurs exigences en termes d'informations financières et extra-financières à fournir pour accéder au crédit.
Si cette norme cible prioritairement l'anticipation des risques individuels, elle pourrait, par ricochet, contribuer à mieux cerner le risque systémique à l'échelle du secteur financier. En effet, une visibilité accrue sur les risques associés aux instruments financiers, obtenue via les nouveaux principes, devrait améliorer la transparence et offrir ainsi aux régulateurs des bases d'analyse plus solides, afin de prévenir les menaces sur la stabilité du système.
Ainsi, en poussant résolument les établissements vers des pratiques de souscription plus restrictives, IFRS 9 conduira logiquement à une contraction de l'offre de crédit, particulièrement pour les emprunteurs les plus risqués. Un subtil équilibrage sera donc essentiel afin de préserver un accès suffisant au financement pour l'économie réelle, tout en assurant une meilleure maîtrise des risques conformément aux objectifs poursuivis par la réforme.
La version complète de cet article est à retrouver via ce lien en accès réservé aux abonnés Expertise SFAF.
(1) Institut de recherche en gestion des organisations : unité de recherches de l’Université de Bordeaux qui réunit des spécialistes en comptabilité, management bancaire et financier, entrepreneuriat, marketing et stratégie d'entreprise, gestion des ressources humaines.