Maud Fouilloux, analyste chez Roche-Brune Asset Management, et Alban Eyssette, associé au sein de Ricol Lasteyrie Corporate Finance, membres de la commission Analyse Extra-financière de la SFAF, reviennent sur l'évolution de l'investissement responsable et le rapport intégré.
En novembre 2016, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a publié son 3e rapport sur la responsabilité sociétale et environnementale. Début 2017, que pensez-vous de la prise en compte des critères ESG par les investisseurs ?
Aujourd'hui, la prise en compte des critères ESG dans les décisions d'investissement n'est plus un effet de mode mais bel et bien une tendance de marché solidement établie. Ainsi, selon les analyses de Global Sustainable Investment Alliance (GSIA), les encours gérés selon les principes de l'investissement durable (« Sustainable Investment ») représentaient en 2014 21 400 Mds$ sur le plan mondial, soit 30 % des encours totaux, dont 12 900 Mds$ pour les stratégies intégrant des critères ESG. En France, les encours ISR atteignaient 750 Mds€ en fin d'année 2015, tous actifs confondus. Et, selon Novethic, le segment actions représentait plus de 75 % de l'encours.
Cette formidable ascension résulte de la concomitance de plusieurs facteurs : 1) l'apparition d'acteurs spécialisés comme les agences de notation extra-financière, 2) le renforcement d'une réglementation, qui tend à rendre systématique et de qualité le reporting extra-financier, 3) le développement d'une demande des institutionnels dont l'objectif poursuivi est de pérenniser leurs investissements sur le long terme et 4) l'émergence d'études sur les bonnes performances financières attribuables aux entreprises déployant une stratégie ESG (Environnement, Social, Gouvernance) avisée.
Que peut-on dire alors de l'analyse extra-financière ?
Cette tendance de marché a conditionné l'évolution de l'analyse extra-financière. À ses débuts, elle donnait priorité à l'éthique en cherchant à identifier les entreprises jugées néfastes pour la société (entreprises productrices de tabac, d'alcool ou d'armes controversées, etc.) via la mise en place de filtres d'exclusion au sein du processus de gestion. Ensuite, cette analyse extra-financière s'est progressivement transformée pour prendre la forme d'une notation des pratiques ESG (Environnement, Social, Gouvernance d'Entreprise) déployées en interne par les entreprises. Cette nouvelle version s'est vue s'immiscer dans les procédures d'investissement sous la forme dite de « Best In Class » (sélection des valeurs qui présentent les meilleures pratiques).
Aujourd'hui, le marché de l'investissement ESG s'étoffe et les besoins exprimés par les acteurs du secteur sont de plus en plus exigeants. Cette évolution s'est traduite par la multiplication des équipes d'analystes ESG pouvant aller jusqu'à 20 personnes, tant du côté Investisseurs (Buy-Side) que Brokers (Sell-Side). Les acteurs les plus innovants nous montrent la voie de ce que sera l'analyse extra-financière de demain. Elle se déclinera sous l'angle de la matérialité pour une meilleure lecture des risques et opportunités. Ainsi, la traduction des impacts sociaux et environnementaux anticipés sur les états financiers de l'entreprise permet de dépasser l'analyse statique d'indicateurs RSE pour obtenir une réelle dimension prédictive (Stress Test Environnemental, Beta Environnement, etc.).
Dans son rapport, l'AMF met l'accent sur l'articulation des informations financières et extra-financières et se montre favorable à une démarche d'intégration plus forte. Quelle est la perception des analystes financiers ?
La tendance actuelle de voir combinés les volets financier et extra-financier au sein d'une même analyse devrait se confirmer. La distinction entre analyse financière et analyse extra-financière pourrait donc tendre à disparaître (cas avéré au sein de certaines sociétés de gestion) au profit d'une vision plus globale des déterminants de la performance.
Cette évolution peut être rapprochée de la réflexion en cours sur le rapport intégré dont la finalité est proche : comprendre au plus fin le processus de création de valeur dans toutes ses dimensions. Ainsi, la distinction entre analyse financière et analyse extra-financière pourrait être révolue au profit de l'apparition d'une nouvelle discipline, l'analyse intégrée.
Les travaux de la commission Analyse Extra-financière de la Société française des analystes financiers (SFAF) viseront à préparer cette possible évolution, en particulier en sensibilisant les analystes mainstream à la valeur ajoutée que peut leur apporter une meilleure appréhension des critères ESG
* Rapport de l'AMF sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale réalisé sur un échantillon de 60 sociétés cotées, dont 30 PME/ETI.