CERCLE TURGOT ET LABORATOIRE D'EXCELLENCE SUR LA RÉGULATION FINANCIÈRE - EYROLLES JUIN 2015 - 17 €
L'expression Shadow Banking renvoie a priori, notamment pour le grand public, un écho inquiétant : la finance de l'ombre ? la finance fantôme ? la finance invisible ? L'ouvrage publié par le Cercle Turgot permet à la fois de démystifier et d'expliquer ce qui se cache sous cette appellation. Il s'agit de « crédits intermédiés en dehors du système bancaire classique » qui participent au financement de l'économie comme une alternative au système bancaire régulé – soit des formes de financement parallèle. Selon les chiffres donnés dans l'introduction, le Comité de stabilité financière a estimé les encours du Shadow Banking (SB) à 75 000 Md$ à fin 2013, soit un montant comparable aux 72 000 Md$ du PIB mondial la même année, et environ 80 000 Md$ fin 2014. La croissance a été spectaculaire en dix ans puisque le SB ne représentait que 21 000 Md$ à fin 2002. Les États-Unis, la zone euro et le Royaume-Uni détiendraient à eux seuls les trois quarts de ces actifs.
Mais la progression la plus rapide se situe dans les BRICS et les pays émergents. Qui en sont les acteurs ? Ils se situent sans surprise en dehors des établissements bancaires classiques : fonds de pension, fonds de titrisation, Hedge Funds, fonds monétaires, sociétés d'affacturage, trusts de gestion d'actifs (immobiliers par exemple) – la liste étant loin d'être exhaustive. Un élément explicatif de cette croissance spectaculaire réside dans le mouvement d'ultra-régulation et de normes prudentielles sévères imposées au cours des dernières années aux établissements financiers “traditionnels”. L'ouvrage du Cercle Turgot est composé de deux grandes parties : la première expose l'expansion rapide en dix ans, avec des articles d'auteurs à la fois brillants et intelligibles : François Baudu, Jean-Paul Betbèze, Jean-Claude Gruffat, Constantin Mellios…
La deuxième partie s'intéresse aux défis de la régulation face à ce phénomène, avec des textes de Pascal Blanqué, Christian de Boissieu, Vivien Lévy-Garboua, Gérard Maarek… Le fait de rassembler autant de grands experts de l'économie financière est en soi une performance que l'on peut saluer.
Dans la conclusion, les auteurs rappellent que jusqu'à la crise des subprimes de 2007-2008, le Shadow Banking system recouvrait essentiellement des activités bancaires hors bilan. Le rapide développement des dernières années peut sembler paradoxal, avec l'incertitude du périmètre d'activités, l'opacité de certains mécanismes, les risques de liquidité, de défaut et au final un risque systémique. Pour y répondre, on peut opposer une vision anglo-saxonne, considérant ces nouvelles formes de financement comme de la “banque de marché” requérant une régulation indirecte pour éviter un interventionnisme qui renverrait le Shadow Banking vers des zones très périphériques. L'autre vision, plus “Europe continentale”, privilégie une régulation directe et une supervision internationale visant à encadrer les activités les plus risquées (notamment les opérations à effet de levier sur fonds monétaires et titres) et à limiter le Shadow Banking à du quasi-banking sans risque systémique pour la finance mondiale.
ANTOINE DE MONTILLE
CREDIT AGRICOLE CIB
Membre de la SFAF, membre du comité de rédaction de la revue Analyse Financière
Article initialement publié dans l'édition 57 de la revue Analyse financière (octobre-novembre-décembre 2015)