Depuis quelques mois, les Initial Coin Offerings (ICO) sont présentées par les médias comme une méthode miracle pour lever des fonds sans être soumis à la réglementation. Ces opérations financières, réalisées par des entreprises porteuses d'un projet sur la Blockchain, ne s'adressent pourtant pas à tous les investisseurs. Philippe Rodriguez, Avolta Partners, clarifie les choses.
Philippe Rodriguez dirige Avolta Partners, une banque d'affaires pour les jeunes entreprises innovantes. Cofondateur de l'Electronic Business Group, un think tank regroupant 130 000 professionnels du numérique en France et aux États-Unis, il est également président de l'association Bitcoin France et auteur de La Révolution blockchain : Algorithmes ou Institutions? (Dunod, mars 2017).
Qu'entend-on précisément par « Initial Coin Offerings » (ICO) ?
Il s'agit de l'émission publique d'actifs cryptographiques (appelés token ou jetons en français), échangeables contre des crypto-monnaies durant la phase de démarrage d'un projet. Celle-ci permet à des entreprises d'effectuer des levées de fonds en mode participatif dans un environnement alternatif non soumis à réglementation. Les ICO sont essentiellement dédiées à des jeunes pousses travaillant dans le domaine des Blockchain pour plusieurs raisons : d'une part, leurs investisseurs évoluent souvent dans la même communauté et, d'autre part, elles se font sans intermédiaires. Enfin, les entreprises doivent mettre en place de nombreux éléments technologiques pour pouvoir émettre ces token : cela nécessite des compétences particulières et une bonne connaissance de l'environnement des crypto-monnaies.
Si les premières ICO datent de 2013 (aux États-Unis), leur nombre et les montants levés récemment ont pris de l'ampleur, totalisant l'équivalent de plus de 1,5 milliard de dollars fin juillet 2017 . Cette double accélération fait qu'on s'y intéresse davantage, même si elles ne touchent qu'un très petit nombre d'investisseurs qualifiés.
Quels dangers présentent-elles pour les investisseurs ?
Les ICO offrent en réalité beaucoup plus de bénéfices que de dangers, à la fois pour les investisseurs et pour les entreprises : simples à mettre en place, elles facilitent des opérations dans un délai extrêmement rapide. Autre avantage : elles permettent d'échapper à la régulation, devenue assez contraignante sur le marché, pour réaliser de petites opérations. Les dangers sont ceux liés à l'essence même de ces opérations, menées de pair à pair. Aucun régulateur ne pouvant donner de garanties, chaque investisseur doit se renseigner en profondeur auprès de la communauté avant d'acheter les token proposés par les organisateurs d'ICO pour soutenir leur projet. Qui dit plus de liberté, dit aussi plus de responsabilité.
Le manque de solidité du code peut-il constituer un danger ?
Certaines opérations ont donné lieu à du hacking par manque de sécurité, comme lors de l'ICO du projet « The DAO » (Decentralized Autonomous Organization) en 2016. A partir du moment où il est proposé de remplacer par des algorithmes à la fois des institutions réglementaires, mais aussi une partie de la gouvernance des entreprises, il faut rendre ces algorithmes fiables et capables de produire exactement ce pourquoi ils sont faits.
La SEC (États-Unis) a publié un avis le 25 juillet à propos de cette opération, assimilant les token émis à des titres financiers , un avis rejoint par les autorités de Singapour et du Canada en août 2017. Comment réagissez-vous à ces avis des régulateurs ?
Le régulateur n'est pas concerné puisque nous évoluons dans un environnement non réglementé. L'avis de la SEC n'a un intérêt que pour les échanges en dollars. Lorsque ces échanges ont lieu en crypto-monnaies, l'autorité américaine ne peut pas intervenir. Il en est de même en Europe. Et les investisseurs qui possèdent des bitcoins ou des ethers ont plutôt tendance à les garder qu'à les échanger contre des monnaies fiduciaires car ils sont convaincus de leur intérêt.
Comment voyez-vous l'évolution du marché ? Va-t-on assister à l'éclatement d'une bulle ?
Les montants investis sont très loin de l'argent disponible sur le marché. Nous ne devrions donc pas assister à l'éclatement d'une bulle, mais plutôt à la disparition ou à la baisse importante de la valeur de certains token par rapport à leur date d'introduction, car moins demandés sur les places de marché.
Parmi les récentes ICO, pouvez-vous en citer quelques-unes qui ont retenu votre attention ?
Oui, je pense notamment aux ICO menées par Civic, plate-forme Blockchain travaillant sur l'identité décentralisée, ou par Bancor, plate-forme d'échange de crypto-monnaies en réserve, qui ont levé respectivement l'équivalent de 36 millions de dollars et de 153 millions de dollars en quelques heures…
Telles que le bitcoin ou l'ether sur la blockchain Ethereum.
Source Coindesk, ndlr.
Cela signifie que les levées de fonds dans le cadre desquels ils sont émis doivent faire – sauf cas d'exemption – l'objet d'une déclaration aux autorités, ndlr.
Propos recueillis par Anne Bechet
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