La Gouvernance est à la mode. En témoignent les foisonnants échanges autour du « G » de l'ESG et le développement des « Road Shows gouvernance » . Hubert Mathet, gérant de fonds d'investissement, animateur du groupe de travail Gouvernance de la commission Analyse extra-financière de la SFAF et Partner chez Ethics & Boards, exprime son opinion sur la fonction d'administrateur et la façon de conduire cette mission. Un rapprochement avec le terrain, des limites au cumul des mandats, une plus grande diversité professionnelle et des exigences renforcées quant aux Soft skills sont à l'honneur ici.
Dix années passées au cœur des Procédures Collectives et de son administration judiciaire à gérer des affaires comme Air Liberté (1996 et 2001), un mandat d'administrateur dans une ETI française et quinze années d'investissement professionnel ont forgé chez l'auteur de ces lignes une conviction : l'investissement de long terme dans les entreprises devait reposer avant tout sur l'analyse de leur gouvernance.
Le mot est à la mode. En soi, c'est une bonne chose, mais que cette Grande Dame soit le plus souvent affublée d'un adjectif l'est moins. Comme aimait à le répéter l'académicien et ancien ministre Jean-François Deniau : « pas d'adjectif avec Démocratie » ! Il n'y a pas de bonne ou mauvaise Gouvernance, il y a la Gouvernance tout court. Elle est, tout comme la Démocratie, la résultante d'un processus complet et équilibré allant de l'élection à l'exécution, assorti d'un « contrat de confiance » révisé annuellement. Certains actionnaires votent pour telle ou telle résolution, d'autres contre, la majorité plus une voix l'emporte et ce sont ces intérêts actionnariaux ainsi unifiés et alignés avec ceux du management qui constituent LA Gouvernance.
Au barycentre de ce processus universel se trouve un mouton à cinq pattes : l'administrateur, dirigeant de droit et dont l'exercice du mandat pose question tant il semble ligoté dans une sorte de carcan intellectuel qui tient d'un cocktail complexe entre bienséance et volonté de ne pas s'immiscer dans la gestion opérationnelle.
Les codes de commerce constatent que les dirigeants de droit, ou de fait, sont responsables des fautes de gestion et, éventuellement, des passifs existants en cas de faillite. Ce degré de gravité, qui pèse sur les épaules de l'administrateur au même titre que sur celles des autres dirigeants – exécutifs ou non –, conduit souvent à des comportements passifs alors que l'actionnaire en l'élisant lui demande exactement le contraire.
Les documents de « Soft law » (Code AFEP-Medef) et autres recueils de recommandations en matière de Gouvernance sont peu diserts sur la façon de conduire cette mission si particulière et, ô combien, importante. Tout juste y est-il écrit que les administrateurs « doivent pouvoir rencontrer les principaux dirigeants de la société… ». En fait, l'administrateur a le droit de tout faire puisqu'il est dirigeant. Le verbe « pouvoir » est ici clairement de trop !
Les formations, nombreuses, se concentrent quant à elles sur les enjeux et les risques associés.
Dès lors, à défaut d'incitation à se rendre sur le terrain, l'administrateur consacre le temps nécessaire et suffisant à la préparation des réunions du Conseil d'administration mais peu, voire rien, à la connaissance interne de la pyramide en haut de laquelle il se trouve.
Ce savant dosage de ce qu'il faut savoir et pouvoir faire pour être le garant de la Gouvernance de l'entreprise n'est simplement pas enseigné.
Au surplus, « l'emprise » des managements exécutifs sur les administrateurs, le cumul des fonctions et/ou des mandats qui les rendent peu disponibles pour autre chose que le strict nécessaire et l'extrême, voire la ridicule faiblesse des jetons de présence – surtout en France – ne permettent pas d'infléchir la courbe pour aller vers une forme de professionnalisation de la fonction.
La demande justifiée, et qui semble irréversible d'un plus large et meilleur dialogue entre l'entreprise et son actionnariat, plaide pour cette évolution majeure.
Outre les compétences habituelles, le mandat d'administrateur doit essentiellement s'articuler autour de l'indépendance d'esprit, « l'aptitude au terrain » et du temps à consacrer à la mission.
Les textes susvisés traitent de l'indépendance, mais sous l'angle matériel. Aucun ne se risque sur l'indépendance d'esprit, principale qualité de l'individu en charge, et qui est le seul contrepoids au management exécutif.
Organiser des visites sur le terrain à l'initiative personnelle d'un administrateur, afin de parfaire son expérience et acquérir le recul nécessaire au regard des sujets clés, s'apparente à une demande de « permission de faire » qui n'a pas lieu d'être et rappelle la boutade de Coluche : « Excusez-moi de vous demander pardon ». Ces visites « indisposent » clairement le management exécutif alors que la norme pour tout dirigeant devrait être l'exclamation de Jim Collins dans son livre Good to Great : « Confront the brutal facts » !
Quant au temps à consacrer, il découle de ce qui précède. Deux jours en moyenne de préparation de chaque séance du Conseil n'y suffisent pas surtout si on veut maîtriser les éléments en cas de crise.
Aujourd'hui encore, le bilan constate de l'entre soi, certains cumuls de mandats qui interpellent, et une faible diversité géographique et professionnelle des Conseils : une étude Ernst & Young / Ethics & Boards de 2019 montre que les profils des administrateurs du SBF 120 sont majoritairement issus des directions générales et des finances, quand ceux des GAFA sont résolument orientés vers les technologies et le leadership.
Osons le dire, l'administrateur doit aussi exercer son mandat sur le terrain à rencontrer, outre les dirigeants (sic), les directeurs et autres salariés « normaux » pour simplement enrichir sa réflexion et asseoir son autorité (oui, il en faut, en plus de tout le reste, même si l'unique interdit de ce « job » est de « commander ») et, ce, hors la vue d'une hiérarchie parfois trop encline à vouloir tout contrôler.
Cela est clairement très consommateur de temps et plaide pour une profonde révision des systèmes de rémunérations bien trop faibles au regard de la mission et de ses enjeux (37 K€ en moyenne pour les jetons de présence des sociétés du SBF 80) et un plafonnement des cumuls traditionnellement admis (5 en France pour des sociétés cotées, 4 en Suisse). On peut sans peine avancer que trois mandats dans l'univers des entreprises cotées en Bourse représenteraient une limite haute raisonnable pour exercer pleinement son mandat.
La sauvegarde de l'alignement d'intérêts qui est la colonne vertébrale de la gouvernance nécessite, plus que jamais, des êtres de talent, dédiés et parfaitement entraînés. Les acteurs de l'investissement doivent donner aux dirigeants qu'ils élisent ces moyens pour garantir que la confiance se perpétue, la stabilité et la performance des entreprises avec.
Lire à ce sujet : La revue Analyse financière n° 68 - « L'analyse d'image de la gouvernance est encore en phase de construction », un article de Michael Herskovich, BNP Paribas AM, publié dans le dossier « Gouvernance et pérennité de l'entreprise ».