Le phénomène de l'activisme actionnarial a donné lieu à plusieurs rapports ces derniers mois (Club des Juristes, Assemblée nationale, AMF, Afep, Europlace, Droit et Croissance, Institut Sapiens, etc.). Pour Jean-Florent Rérolle, CEO de VienGi, Senior Advisor d'Associés en Finance et membre de la SFAF, la vraie tendance de fond est celle du retour de l'actionnaire dans le jeu de la gouvernance.
La vraie tendance de fond, c'est celle du retour de l'actionnaire dans le jeu de la gouvernance : un nombre croissant d'investisseurs professionnels n'hésitent plus à s'exprimer et cherchent à influencer le comportement des entreprises dans lesquelles ils investissent.
Promu par la réglementation européenne, favorisé par la montée de la gestion passive qui empêche de désinvestir facilement, imposé par le respect des promesses commerciales faites aux « Asset owners », l'engagement actionnarial à long terme est devenu une pratique courante. La croissance de la finance responsable et, d'une manière plus générale, de l'intégration des facteurs dits extra-financiers est venue amplifier le phénomène et lui donner toujours plus de consistance.
Le phénomène n'est pas près de s'arrêter. Certes, il a un coût : il faut mettre en place des équipes d'engagement dont la perspicacité dépend de la séniorité de ses membres et dont l'efficacité sera liée aux processus internes permettant de tirer parti de leurs observations dans les choix de portefeuille. Mais ce coût peut être mutualisé par des engagements collectifs ou bien en confiant cette tâche à des confrères désirant rentabiliser leur structure (comme Federated Hermes) ou des acteurs spécialisés (Sustainalytics).
Il peut aussi être rentabilisé par l'efficacité de l'engagement. L'exemple en a été donné maintes fois par les activistes « professionnels ». Les études montrent en effet que les Hedge funds qui se sont spécialisés dans l'activisme ont obtenu des performances très supérieures à celles des autres investisseurs. Cette perspective est d'autant plus alléchante que les prévisions de rendement moyen des actions à long terme sont plutôt moroses. Dans un registre moins actif, les fonds qui se sont spécialisés dans l'ESG ont également connu des performances meilleures que le marché.
En outre, l'argument qui consiste à accuser les activistes professionnels d'être prêts à sacrifier les perspectives à long terme des entreprises pour privilégier les mesures à court terme est de moins en moins convaincant. Sur un échantillon de 1 000 opérations activistes, des chercheurs américains réputés ont mis en évidence une augmentation de 7 % en moyenne du cours sans renversement de tendance à long terme . Les entreprises ciblées voient leur productivité augmenter par rapport à celles qui n'ont pas été visées, sans augmentation du temps de travail ni décroissance des salaires. Et si les dépenses de R&D chutent en moyenne de 20 %, le nombre de brevets déposés augmente de 15 % et les citations y faisant référence augmentent également de 15 %.
Autrefois plutôt timorés, les investisseurs institutionnels n'hésitent plus désormais à voter les résolutions présentées par les activistes dans les assemblées générales. Certains fonds adoptent des stratégies d'escalade dont la logique est assez similaire à celle des fonds activistes professionnels. Très critiqué, le prêt de titres est certes une abdication regrettable de l'investisseur, mais il est aussi un soutien direct aux initiatives des activistes. L'exemple récent de Wirecard montre que, pourtant voués aux gémonies à l'inverse des investisseurs longs, les « Short sellers » peuvent avoir une certaine utilité…
L'activisme et, plus généralement, le militantisme actionnarial vont reprendre de la vigueur dans la passe économique difficile dans laquelle nous nous engageons. La crise va mettre en lumière les entreprises qui n'auront pas su créer de véritables avantages concurrentiels, bâtir des modèles d'affaires résilients et allouer correctement leurs ressources financières.
Elles doivent se préparer à cette éventualité face à des professionnels qui ne laissent aucune part à l'improvisation. L'expérience enseigne que le mépris, l'arrogance ou l'agressivité sont inadaptés, voire contre-productifs, face à des investisseurs connaissant souvent mieux que le management les dynamiques de création de valeur de l'entreprise.
Dès lors, comment se défendre contre les fonds activistes ?
L'idéal est bien sûr d'offrir aux actionnaires une rentabilité supérieure à celle qu'ils escomptaient. À défaut, il convient de s'être sérieusement préparé aux débats que les activistes ne manqueront pas de susciter sur la capacité ou la volonté des dirigeants à saisir les opportunités de création de valeur. Dans tous les cas, il s'agit de décrypter précisément les attentes du marché financier, de s'assurer de la capacité de l'entreprise à y répondre, de quantifier l'impact des différents scénarios financiers et stratégiques sur sa valeur intrinsèque et de procéder à une mise à jour régulière de ces travaux afin de pouvoir justifier à tout moment que la stratégie suivie maximise la valeur actionnariale.
Le management doit avoir une véritable conviction sur la valeur de son entreprise et, par un dialogue constant et signifiant, communiquer aux investisseurs fondamentaux les éléments clés qui leur permettent de la calculer. Son analyse doit être réaliste, approfondie et sans complaisance.
Pour s'immuniser contre le risque d'une initiative actionnariale, il n'existe pas de meilleur antidote que de créer de la valeur en adoptant la même détermination et le même professionnalisme que les activistes.
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Brav, Alon, Wei Jiang, and Hyunseob Kim. "The Real Effects of Hedge Fund Activism: Productivity, Asset Allocation, and Labor Outcomes”.