Les actualités et publications
01/01/2016 Le Think Tank

Normalisation comptable : qu’en pensent les analystes financiers ?

Au cours de l'année 2015, la commission Comptabilité et analyse financière de la SFAF a pris position sur plusieurs sujets importants, avec toujours pour objectif une amélioration de l'information financière pour les utilisateurs que sont les analystes financiers.

CADRE CONCEPTUEL / OCI (OTHER COMPREHENSIVE INCOME)

De quoi s'agit-il ? L'IASB, normalisateur comptable international, a entrepris de rénover le cadre conceptuel des  normes IFRS. Il s'agit en quelque sorte des « tables de la loi », grand préambule à l'ensemble des normes comptables. Ce cadre sert ainsi de guide dans l'élaboration et l'application des normes. Il importe donc que les vues des utilisateurs de comptes, représentés en France par la SFAF, soient bien prises en compte. Cette rénovation s'effectue par étapes. Après une première étape (2010) centrée sur les objectifs et les caractéristiques des états financiers, l'IASB s'est notamment penchée en 2015 sur le rôle du résultat net et des autres éléments de résultat (Other Comprehensive Income ou OCI) qui permettent, dans les faits, de faire le lien entre le compte de résultat et la variation des capitaux propres d'un exercice sur l'autre. Dans ce contexte, la reconnaissance, pour la première fois, de la prééminence du compte de résultat et du résultat net en matière d'analyse de la performance de l'entreprise représente un grand bond en avant que nous attendions depuis longtemps après  l'avoir maintes fois réclamé. Mais le diable se cache dans les détails. La SFAF est certes satisfaite que l'IASB reconnaisse que les OCI doivent comprendre les éléments qui n'ont, tout simplement, pas leur place dans le compte de résultat mais la proposition de l'IASB est ambiguë. On peut craindre en effet que, sur la base des critères de l'IASB, des éléments tels que les écarts actuariels sur les engagements de retraite se retrouvent, finalement, dans le compte de résultat, ce qui ne serait certainement pas une avancée.

Dans sa lettre de commentaires à l'IASB, la SFAF a fait part de ses demandes d'amélioration des normes  existantes, qui ont été aussi développées dans sa réponse à l'IASB fin décembre 2015 dans le cadre de son appel à commentaires sur son programme de travail 2016-2020. Nos demandes portent notamment sur la rénovation des normes IAS 1 (présentation des états financiers), IAS 7 (tableau des flux de trésorerie), IFRS 3 (regroupement d'entreprises) et IFRS 8 (information sectorielle).

LE GUIDE DE L'AMF SUR LA PERTINENCE, LA COHÉRENCE ET LA LISIBILITÉ DES ÉTATS FINANCIERS

L'AMF a publié, en juin 2015, une proposition d'organisation des annexes des états financiers. Le sujet de la  complexité des rapports annuels des sociétés est en effet un vieux « serpent de mer », en raison notamment de leur taille croissante qui rend, de fait, leur lecture plus complexe, notamment pour les analystes financiers. Différentes initiatives avaient eu lieu au niveau français, européen ou de l'IASB, mais celle de l'AMF, qui a reçu le soutien de l'Autorité des normes comptables et de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, propose une démarche pragmatique. Les pistes avancées concernent tout à la fois la pertinence, la cohérence et la lisibilité des états financiers. La pertinence, c'est, par exemple, présenter comment les normes sont appliquées par l'émetteur au lieu de se limiter à recopier la norme ou présenter des principes comptables qui ne concernent pas la société. C'est aussi mettre l'accent sur les informations spécifiques à la société.

La cohérence, c'est par exemple avoir une information comptable qui permette de faire le lien avec la  communication financière. La lisibilité enfin, ce peut être d'organiser les annexes de façon intelligible. Dans son document, l'AMF a ainsi relevé certaines initiatives heureuses parmi les émetteurs, comme une visualisation des données au travers de graphiques ou encore l'emploi de termes clairs ou des explications là où la complexité des notions pourrait en égarer plus d'un. Bref, autant de caractéristiques qui méritent d'être positivement soulignées comme nous avons pu le faire dans certaines instances de Place où cette initiative a été présentée.

DISCLOSURE INITIATIVE (PROPOSED AMENDMENTS TO IAS 7)

Derrière ce terme un peu ésotérique (la traduction française n'est guère plus éclairante : Initiative concernant les informations à fournir ) se cache une avancée qui intéressera plus d'un analyste financier et sur laquelle la commission Comptabilité de la SFAF a exprimé son soutien. L'IASB a en effet soumis à consultation la proposition de compléter le tableau de flux de trésorerie par un tableau de passage des éléments de dette financière d'un exercice à l'autre. Alors que la vocation actuelle du tableau de flux de trésorerie est d'expliquer comment la trésorerie varie entre deux exercices, il n'était pas possible aux utilisateurs de comprendre comment la dette financière a varié (du fait des variations de périmètre, de nouveaux contrats de location financière…). Dans sa lettre de commentaire d'avril 2015, la SFAF a souligné les éléments qui lui semblaient essentiels pour comprendre l'évolution de la dette financière. Elle a également souligné que ces améliorations graduelles étaient une façon intelligente de faire progresser les normes comptables plutôt que céder à la tentation de réécrire complètement une norme. À ce jour, (N.D.L.R. : le 25 novembre 2015), il reste à l'IASB de publier cette norme revisitée, en espérant vivement que la voix des utilisateurs soit écoutée.

IFRS 3 : LES ANALYSTES DEMANDENT UNE RÉFORME

Après la norme IFRS 8 (Information sectorielle), l'IASB a initié une analyse critique de la norme IFRS 3  (Regroupements d'entreprises). Cette « Post Implementation Review » est désormais obligatoire pour les normes comptables deux ans après leur mise en oeuvre. C'est un progrès, même si cette revue souffre d'être réalisée par celui-là même qui a réalisé le projet, c'est-à-dire l'IASB. La SFAF n'a pas manqué de contribuer aux commentaires en rédigeant dès juin 2014 une lettre à l'adresse de l'IASB, soulignant les défauts majeurs de cette norme. En particulier, la commission a remis en cause le concept même de non-amortissement du goodwill qui lui semble infondé (la durée difficile à déterminer n'impliquant pas l'arrêt de tout amortissement) ainsi que le peu d'information apporté par les tests de dépréciations du goodwill. Ces derniers sont en effet souvent hétérogènes d'un émetteur à l'autre et reposent sur des hypothèses potentiellement optimistes. De plus, en matière de reconnaissance, ils ont pu conduire à des dépréciations tardives alors même que celles-ci étaient actées depuis longtemps dans les cours de Bourse. Autre défaut de cette norme, le concept de full goodwill (qui se traduit par exemple, lorsqu'il est appliqué, par la valorisation au bilan des intérêts minoritaires sur la base de transactions qui n'ont pas eu lieu) conduit en matière d'évaluation des capitaux propres (actionnaires de la société mère) à des résultats contre-intuitifs, si ce n'est aberrants.

La SFAF a enfin posé la question de la pertinence de la reconnaissance au bilan d'un grand nombre d'actifs incorporels lors des opérations de rapprochement (marques, fichiers clients…), en particulier en l'absence de marché actif. Dans sa synthèse de juin 2015, l'IASB a reconnu certaines de ces observations et se penche notamment sur l'idée de réintroduire l'amortissement du goodwill précédemment écarté.

BERTRAND ALLARD
MEMBRE DE LA SFAF
Coprésident de la commission Comptabilité et analyse financière-Jacques Mériaux et membre du comité consultatif de l'Autorité des normes comptables. Diplômé de l'École Centrale de Paris, il est responsable de secteurs industriels au sein des Etudes économiques du Crédit Agricole.

JACQUES DE GRELING
MEMBRE ET EX-ADMINISTRATEUR DE LA SFAF
Est notamment coprésident de la commission Comptabilité et analyse financière-Jacques Mériaux et membre du comité consultatif de l'Autorité des normes comptables (ANC). Membre du Capital Market Advisory Committee (CMAC) auprès de l'IASB et vice-président de la Financial Accounting Commission de l'EFFAS, il est aujourd'hui analyste financier responsable du secteur télécom chez Natixis Securities.

Article initialement publié dans l'édition 58 de la revue Analyse financière (janvier-février-mars 2016)

_______________________________________________________________________