Comment faire du plan de digitalisation comptable XBRL – ESEF un outil renforçant le lien entre communication et valorisation des entreprises ? Analyse de Nicolas d'Hautefeuille, membre de la commission Evaluation de la SFAF.
Le projet ESEF est la brique « digitale » de la construction d’un marché financier unifié pour la zone euro. L’objectif est de combler le retard important pris en Europe, par rapport au marché américain et certains marchés asiatiques, en matière d’utilisation de la big data par les Fintechs.
Bien que la taxonomie IFRS contienne également un nombre important de tags (3000 environ), le compromis législatif européen a consisté à n’imposer aux entreprises qu’un « block taging » de l’annexe aux comptes, et non un « detailed taging » comme aux Etats-Unis.
Les notes étant taguées en bloc, l’utilisation des données (et, notamment, des éléments chiffrés) ne peut pas se faire par une lecture automatique : ceci réduit l’utilisation et, donc, la pertinence du reporting digital à l’européenne pour une industrialisation du « scoring » (calcul des ratios financiers). Cette logique de « big data » impose un basculement d’un format « papier électronique » - le pdf - à un format digital (human + machine readeable) - le XHTML - basé sur cette taxonomie IFRS (qui est aussi le langage comptable retenu depuis 2005 en Europe).
La digitalisation comptable prend une importance particulièrement aigue pour la stabilité financière de la zone euro dans le contexte actuel pour 4 raisons.
Complexité de la norme IFRS 16 sur les leases
Cette norme (fortement inspirée de la méthodologie d’ajustement de S&P) bouleverse les règles de comptabilisation des actifs de location en imposant l’enregistrement au bilan des dettes associées, ce qui implique également un reclassement des loyers en amortissement et en frais financiers.
La complexité de la norme IFRS 16 impacte très fortement le calcul du DCF du fait du caractère déséquilibré des ajustements réalisés sur la dette par rapport aux ajustements réalisés sur le free cash-flow. Ce déséquilibre résulte de la non prise en compte des variations de leases dans le tableau de financement, ce qui conduit les émetteurs à redéfinir, sous la forme d’APM (alternative performance measure, ie indicateur alternatif de performance), les principaux soldes financiers nécessaires au calcul du DCF (ie Free Cash Flow et dette financière).
Impact de la « fair value » sur les ratios de crédit
La fair value (ie valorisation en mark to market des postes du bilan) est sensible au grand retour de l’inflation et à la remontée des taux. Le calcul d’un ratio de couverture des frais financiers devient juste incohérent sur le plan comptable, puisque le « standard of value » diffère pour la dette financière (valorisée au coût historique) et la dette actuarielle (valorisée sur la base d’un taux actualisé). Cette difficulté est accrue par la possibilité prévue par l’IFRS 9 de faire basculer dans les OCI (other comprehensive income) une partie des frais financiers cash de l’entreprise, quand ceux-ci résultent d’une stratégie de « hedging ».
Echec du projet PFS (primary financial statement) de l’IASB
Cet échec rend impératif pour l’analyste de procéder aux retraitements, non pas à partir des états financiers primaires, mais à partir des annexes : en effet, la nomenclature du compte de résultat, du bilan et du tableau de financement ne permet pas, en lecture directe, de procéder aux retraitements.
Changement de modèle économique pour beaucoup d’industries impliqué par la transition énergétique
Ceci nécessite que l’analyste dispose d’une ventilation plus fine des capitaux engagés et de la génération de marge par activités ; or, cette répartition n’est pas fournie par les états financiers primaires. Ce suivi de la ventilation par métiers des investissements et de la marge est une étape préalable pour évaluer l’impact de l’allocation du capital sur la rentabilité marginale des capitaux engagés. C’est l’enjeu déterminant pour que les analystes puissent intégrer dans la valeur terminale la rentabilité du programme d’investissements.
Le contexte actuel de forte volatilité des marchés rend plus nécessaire que jamais d’améliorer la comparabilité et la cohérence des ratios grâce à la taxonomie XBRL ESEF. La SFAF continuera à s’impliquer fortement dans ce projet sensible.