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19/02/2025 Crédit

Intelligence artificielle et analyse crédit

Un outil incontournable mais un potentiel encore à révéler

 

Face à la généralisation de l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) dans de nombreux domaines de la finance, la commission Crédit de la SFAF, co-présidée par Barbara Cohen et Nicolas Hardy, a consacré ses réunions de fin d’année 2024 à l’examen de la percée de l’outil dans les métiers d’analyse financière orientée crédit et présente ici une synthèse de ses réflexions.

Le constat est unanime : l’IA apparaît d’ores et déjà comme un outil incontournable, avec des gains de productivité indéniables, mais il demeure encore largement en phase test et son plein potentiel reste encore à dévoiler. L’IA s’impose comme un moyen incroyablement ergonomique de manipulation d’informations, mais pas encore suffisamment autonome pour la prise de décision fiable. L’analyste a encore sa place dans cet écosystème comme garant de la cohérence des résultats.

A ce stade de déploiement de l’IA, nous faisons les constats développés dans les points suivants.

Un outil encore largement en phase test
L’IA est un outil encore très largement en phase test parmi les équipes d’analyse crédit mais elle connaît une généralisation progressive. La diffusion de l’outil paraît suivre une même logique de déploiement à travers les entreprises : l’outil est mis à disposition d’équipes restreintes qui en testent les fonctionnalités, puis il est étendu à un plus grand nombre d’utilisateurs avec des versions simples, tandis que des versions plus élaborées sont proposées à des utilisateurs restreints pour des usages spécifiques. La question de la protection des données est, bien sûr, une considération essentielle qui freine la diffusion de l’IA Elle touche à la sécurité des systèmes et à la confidentialité des données, tout particulièrement pour les activités régulées.

Le recours à l’IA n’est pas une option
Peut-on se passer de l’IA ? Qui prendrait le risque ? On perçoit alors le sentiment d’une course en avant : il faut s’approprier l’outil, au risque de manquer une évolution radicale et potentiellement disparaître (darwinisme !). Cependant, le coût du déploiement suggère aussi qu’il faut posséder une taille critique et la capacité à absorber ces investissements pour y accéder pleinement. Cela peut accentuer la difficulté des acteurs de moindre taille à concurrencer les acteurs établis. L’IA procure un accès accéléré à de nouvelles sources d’informations. L’analyse des résultats des sociétés cotées est un cas d’usage maintenant répandu. Cela pose aussi la question de l’asymétrie de l’accès à l’information, potentiellement renforcée par l’IA, ce qui pourrait impacter des dynamiques concurrentielles parmi les acteurs.

Des gains de productivité indéniables mais encore limités
Les gains de productivité sont indéniables, mais encore limités par la nécessité d’un investissement personnel conséquent et les tâtonnements encore inévitables en phase d’acquisition. Les gains attendus, encore difficiles à quantifier, peuvent être effacés ou amoindris par le coût important de l’accès et de l’utilisation de l’outil. Les coûts liés au développement des infrastructures, y compris énergétiques, ne font que croître. De ce fait, l’impact environnemental est non-négligeable.

Une ergonomie qualitative
L’ergonomie de l’outil représente un saut qualitatif considérable par rapport aux moteurs de recherche en termes de restitution des résultats et de convivialité de l’interface (impression de dialogue). Le mode de restitution des réponses permet une intégration beaucoup plus immédiate dans l’analyse. A ce stade, l’utilité de l’IA réside donc principalement dans l’analyse de documents longs (type documentation juridique, prospectus). L’outil va permettre à l’analyste d’apprécier un nombre considérablement plus important de sources d’information. Mais il n’est pas encore clair comment l’agrégation et la hiérarchisation des résultats va pouvoir se faire de manière utile et autonome. L’outil s’avère bien adapté pour la gestion de scénarios et la possibilité de tester des hypothèses (par exemple tester l’impact d’une augmentation des tarifs douaniers dans certains secteurs).

Un outil d’aide pas (encore) autonome
L’IA se présente comme un outil d’aide à l’analyse, pas (encore) un outil autonome de production d’analyse. Nous sommes encore loin d’une utilisation véritablement générative de l’IA. L’utilité de l’outil dépend largement de la capacité à formuler les requêtes les plus appropriées (phase d’apprentissage de l’utilisateur, puis standardisation des tâches), ce qui est un processus empirique. Par ailleurs, pour disposer des résultats les plus pertinents, il est nécessaire d’intégrer en permanence les données nouvelles, ce qui oblige donc à une mise à jour constante des paramètres, un rafraîchissement permanent des modèles. Les utilisateurs notent que la fiabilité des résultats obtenus n’est pas encore satisfaisante, par exemple pour le retraitement d’ajustements comptables. Pour un usage plus génératif de l’IA, les analystes se trouvent confrontés à un problème propre à l’analyse crédit : l’univers des émetteurs de dette représente un échantillon de taille modeste (des dizaines, au mieux des centaines d’entités). Nous sommes donc loin des problématiques de big data qui existent dans d’autres secteurs. La question se pose donc de la pertinence des résultats que l’on peut obtenir avec des modèles small data.

Une vérification humaine indispensable pour éviter les « hallucinations »
La vérification des résultats demeure primordiale. L’expérience des hallucinations (l’outil génère des résultats sans fondement) est marquante et à l’origine d’une certaine réticence à s’appuyer sur l’outil. Le risque de biais des algorithmes a aussi été commenté.

Bouleversement des méthodes et transfert d’expertises
Le mode d’apprentissage de l’analyse crédit se trouve indéniablement bouleversé. L’IA va profondément modifier les habitudes de travail et donc le mode d’acquisition d’une expertise en analyse financière. Des tâches élémentaires peuvent être automatisées (saisie de comptes) et ne participent donc plus à la courbe d’apprentissage. Des formations dédiées à l’IA sont maintenant intégrées à la formation initiale. Les analystes juniors disposent donc de plus en plus de ce double bagage, connaissance sectorielle, connaissance des outils IA. Cela donne déjà lieu à des transferts d’expertise inversés. Les jeunes générations sont préoccupées par la pérennité des emplois actuellement proposés, de l’utilité des compétences acquises face à la transformation des rôles. Ces interrogations sont mises en avant lors des entretiens de recrutement.

Une réglementation en constante évolution
L’environnement réglementaire est encore très largement en devenir et un chantier à explorer. De nombreux textes sont en phase de développement. La problématique est internationale. Le risque juridique n’est pas encore bien cerné s’agissant de l’usage des fonds documentaires propriétaires, l’accès aux sources d’information, les risques de plagiat, de la protection des données, en particulier les données confidentielles. Le déploiement de l’outil s’en trouve limité. On pourrait assister à une multiplication des outils du fait du cantonnement des bases de données, une limite à la possibilité d’agréger des données sources.