
Hubert Mathet, vice-président de la SFAF et responsable du groupe de travail Gouvernance, revient sur le projet d’Investor Forum « à la française » et la nécessité de repenser la façon d’exercer les contrepouvoirs au sein du conseil d’administration.
En tant qu’Académie de formation des analystes extra-financiers qui souhaitent devenir titulaires du CESGA, la SFAF réfléchit en parallèle et dans le cadre de ses commissions aux enjeux et moyens relatifs à l’amélioration de la gouvernance des sociétés cotées. A ce titre, elle participe systématiquement aux groupes de travail de la place lorsque l’occasion se présente pour traiter de ces sujets.
Par ailleurs, la tenue du calendrier de place, qui est l’une des missions historiques de l’association, nous montre année après année que la taille du marché parisien se réduit, des places boursières comme Amsterdam semblant plus facile d’accès, pour les nouvelles cotations en tout cas. Pour tout observateur censé, il est évident que prévenir les catastrophes économiques, financières et, par ricochet, boursières des sociétés cotées à Paris devrait être une priorité pour stabiliser la réputation de la place.
Les investisseurs non-résidents à fin 2022 détenaient un peu moins de 40% du capital des entreprises françaises cotées sur l’ensemble de bourse de Paris, soit le niveau le plus bas parmi les principaux pays européens.
La demande partagée par un grand nombre d’investisseurs d’un plus large et meilleur dialogue entre l’entreprise, ses organes de direction et de gouvernance d’une part, et son actionnariat d’autre part, plaide en faveur d’évolutions majeures des pratiques de place.
La SFAF a travaillé en profondeur pendant deux années à l’adaptation locale d’une plateforme de dialogue actionnarial semblable à celle qui a connu un franc succès à Londres sous le nom de The Investor Forum. Cette association, née en 2012 et qui a traité en 13 années plus de 120 cas d’engagement actionnarial et certainement analysé au moins autant, s’est imposée comme une forme avérée d’antidote contre l’activisme.
Le projet présenté à l’AMF a reçu un accueil extrêmement positif de la part de sa direction. Il est aujourd’hui en quête de leadership susceptible de fédérer les acteurs de la place parisienne.
Que reste-t-il comme initiative pour prévenir ces sorties de route qui, cas après cas - Lagardère, Casino, Atos, Orpéa -, révèlent toujours un profond déséquilibre au sein des managements exécutifs et non exécutifs ? C’est la sempiternelle question des contrepouvoirs et de la façon de les exercer, au risque d’incommoder l’ordre établi. Le cadre juridique existe et permet leur plein exercice. L’usage qui en est fait et que l’on constate dans les cas critiques précités est bien différent et débouche immanquablement sur de l’activisme ou des sociétés attaquées par des short sellers.
Je ne peux m’empêcher, à titre d’illustration, de reproduire ici ce que Warren Buffet vient d’écrire en introduction à sa lettre annuelle aux investisseurs de Berkshire Hathaway : “During the 2019-23 period, I have used the words ’mistake‘ or ’error‘ 16 times in my letters to you. Many other huge companies have never used either word over that span. Amazon, I should acknowledge, made some brutally candid observations in its 2021 letter.
Elsewhere, it has generally been happy talk and pictures. I have also been a director of large public companies at which ’mistake‘ or ’wrong‘ were forbidden words at board meetings or analyst calls. That taboo, implying managerial perfection, always made me nervous (though, at times, there could be legal issues that make limited discussion advisable. We live in a very litigious society).”
Tout y est parfaitement résumé. On ne peut rêver d’un meilleur plaidoyer pour définir ce qui caractérise l’administrateur et sa fonction : sens du discernement et courage (de déplaire éventuellement).
Au rang de solutions déjà évoquées, donner aux conseils d’administration des moyens qui leur seraient propres demeure une piste intéressante mais compliquée à mettre en œuvre, puisque cette instance ne dispose pas d’une autonomie juridique.
Faut-il dès lors réfléchir plus en profondeur à une forme de professionnalisation d’un nouveau type d’administrateur, dont l’engagement sur un nombre très limité de mandats garantirait son indépendance et le temps consacré à sa mission ?
Le cas existe en France et il s’appelle l’administrateur judiciaire, profession règlementée et rendue exclusive par les textes, mal perçue par la grande majorité des acteurs économiques et financiers mais ô combien capable de s’adapter aux circonstances, de comprendre les situations les plus complexes en un temps record, et aussi de savoir dire les choses en face.
Un savoir-faire qui ne déplairait pas à Warren Buffet !