S'il est beaucoup fait mention des projets smart cities dans la presse, peu d'entre eux fonctionnent réellement à l'échelle d'une ville. En cause, le manque de financement et de retour d'expérience, mais surtout le manque d'un modèle de gouvernance performant. L'édition 64 de la revue Analyse financière à paraître début juillet s'intéresse à cet enjeu et aux défis financiers.
Isam Shahrour est professeur à l'Université de Lille où il dirige le laboratoire de Génie Civil et géo-Environnement (LGCgE) et coordonne le projet SunRise . Ingénieur civil des Ponts et Chaussées, il a été vice-président « Recherche, études doctorales et valorisation » de l'Université Lille 1 et président de Technopole Lille Métropole (TLM) de 2007 à 2012.
Pourquoi l'ENA s'intéresse-t-elle à la gouvernance des villes intelligentes dans le cadre de ses conférences consacrées à la réforme territoriale ?
Les villes doivent adapter leur gouvernance aux nouveaux enjeux auxquels elles font face. Elles subissent une crise de croissance et leurs infrastructures sont souvent vieillissantes ou inadaptées aux enjeux actuels (réduction de la consommation, lutte contre la pollution, sécurité de fonctionnement) dans un contexte de vieillissement de la population.
Grâce au numérique, les informations deviennent accessibles : les citoyens veulent participer aux prises de décision et demandent de la transparence. Alors que les importantes coupes budgétaires rendent les choix plus difficiles, il faut être en mesure de bâtir différents scénarios et d'expliquer la stratégie retenue pour convaincre et rendre les citoyens actifs.
Une autre question importante est celle de l'attractivité : les villes se battent pour attirer les acteurs économiques à la recherche d'un écosystème facilitant leur intégration, avec la présence de partenaires économiques, académiques, etc. Or, la donnée aide à gérer la ville de manière plus rationnelle et permet d'offrir des services performants.
Où en sont les collectivités françaises par rapport à leurs consœurs européennes ?
Il est difficile de comparer un pays à l'autre, chaque ville n'ayant pas la même maturité dans son chemin vers la smart city. Récent, ce concept a d'abord été abordé sous l'angle des économies d'énergie (infrastructures) puis a intégré les aspects sociaux et environnementaux pour s'étendre à sa transformation globale.
Certaines villes étrangères, telles qu'Amsterdam, Barcelone et Singapour, ont démarré leur réflexion plus tôt (une dizaine d'années) avec davantage de moyens et des systèmes de gouvernance plus aptes à faire avancer les choses. En France, même si certaines réalisations voient le jour et font l'objet d'une bonne communication, une véritable approche globale de la smart city n'a pas encore vu le jour. De nombreuses couches décisionnelles se superposent ; les compétences sont multiples, rendant délicat le déploiement d'un projet global car il faut mettre autour de la table un nombre de personnes beaucoup plus élevé, sans oublier les partenaires privés ni la conformité aux réglementations.
Quel type de financement vous semble le plus adapté ?
Les démonstrateurs ont prouvé l'efficacité de ces nouvelles technologies, qui permettent de faire des économies et d'améliorer le cadre de vie et la participation des citoyens. Par exemple, en matière d'éclairage public, les villes peuvent réduire leurs dépenses de 50 %, (contre 20 à 30 % en matière de chauffage et plus encore en matière d'eau avec la détection rapide des fuites). Mais comment obtenir les investissements nécessaires au lancement de ces démonstrateurs ? En montant des partenariats public-privé : le secteur public garde la main sur le cahier des charges tandis que le secteur privé apporte son expertise technique et ses capacités de financement, les économies réalisées couvrant les investissements à terme. Il semble préférable de démarrer avec des projets pilotes – même à grande échelle comme dans un écoquartier – pour élargir par la suite, afin d'assimiler les changements culturels que ces projets impliquent et d'en faciliter l'appropriation.
Quel modèle de gouvernance faut-il pour accompagner la ville ?
C'est l'objet de ma présentation à l'ENA (voir le schéma ci-dessous). Le comité de direction, constitué d'institutionnels et du secteur privé impliqué dans le financement, définit la stratégie. Il se fait aider d'un comité scientifique, composé d'experts et de la société civile, qui lui apporte ses conseils. Le comité des usagers remonte au comité de direction à la fois ses besoins et les résultats des politiques mises en œuvre. C'est au comité opérationnel de mettre en œuvre le projet, d'analyser les interactions entre les différents sous-projets, en lien avec le comité de direction et le comité des usagers. Dans ce modèle regroupant tous les partenaires, chacun trouve sa place et devient acteur de la construction de la smart city.
Le modèle de gouvernance de la ville intelligente présenté à l'ENA le 15 juin 2017 dans le cadre du Cycle « Gouvernance territoriale : Gouverner les villes intelligentes ».
Le projet SunRise est un démonstrateur à grande échelle de la ville intelligente mis en place en 2011. Il inclut les réseaux d'eau, d'assainissement et de chauffage du campus scientifique de l'université Lille, permettant un suivi en temps réel des consommations de ses 25 000 usagers et 150 bâtiments (ndlr).